Israël-Palestine : pourquoi on s'en prend à ses voisins ?

Au Proche-Orient, la violence bat de nouveau son plein. Ce dramatique regain de tension remonte au 10 février dernier, alors qu’un tribunal de Jérusalem donnait raison à des familles juives revendiquant des droits de propriété à Cheikh Jarrah. Depuis plusieurs années, ce quartier de Jérusalem-Est fait l’objet d’une vaste politique d’expropriation des Palestiniens par les colons juifs, devenant l’emblème d’une longue histoire d’exil forcé. Mais ces derniers jours, la situation a aussi dégénéré à Lod, à Saint-Jean d’Acre ou encore à Ramle – des villes « mixtes » jusqu’ici paisibles… et désormais au bord de la guerre civile.

Tout espoir de cohabitation est-il impossible ? Ne peut-on pas, à défaut de vivre ensemble, vivre « à côté » ? Dans son livre Du voisinage (Albin Michel, 2016), la philosophe et psychanalyste Hélène L’Heuillet explore la figure contemporaine du voisin. Et elle explique qu’aussi proche soit-il, cet autre qu’est le voisin n’est ni l’ami ni le prochain. Il ne peut être en définitive que l’ennemi suscitant chez nous, tantôt la froide indifférence, tantôt la plus extrême violence.

« Ni le besoin mutuel ni la familiarité ne préservent du déferlement de la violence. » Lorsque le lien entre deux voisins est fondé sur une familiarité subie ou mal acceptée, il y a un moment où apparaît la nécessité de montrer qu’on ne dépend pas de l’autre. Ce qui conduit à « vouloir la mort de l’autre », écrit Hélène L’Heuillet. Car il est habituel de haïr secrètement, voire inconsciemment, ceux à côté de qui l’on vit. Pire, la proximité joue comme une circonstance aggravante dans le meurtre lorsque rejaillit une haine profonde d’autrui, refoulée derrière de faux liens qui faisaient office de défense et de maintien artificiel de la paix. 

Voilà ce qu’il semble se passer désormais dans plusieurs villes d’Israël, où des dizaines d’années de cohabitation paisible entre juifs et musulmans se sont effondrées du jour au lendemain. Lod, Haïfa, Akko, Saint-Jean d’Acre… la liste des villes « mixtes » secouées par des affrontements interethniques s’allonge de jour en jour. Un profond fossé se creusent entre deux communautés qui semblent se radicaliser. Ici, un cimetière musulman est incendié, alors que là, un restaurant tenu par un chef juif est réduit en cendres. Mercredi, une grande chaîne de télévision israélienne a même diffusé les images du lynchage violent d’un automobiliste arabe. Selon Hélène L’Heuillet, cette pulsion mortifère vient de l’idée même de cohabitation, rendue impossible lorsque mon voisin me renvoie à ma propre condition, à ma propre différence par rapport à lui : « Le miroir encourage la passion de l’identité, jusque dans sa tentation criminogène. Bien des massacres peuvent aussi se comprendre de cette manière, particulièrement quand ils sont perpétrés dans la proximité. »

Vivre dans des lieux différents, en communautés différenciées et homogènes, ne semble pourtant pas être la solution. Ni quelque chose d’envisageable lorsque le lieu lui-même, comme Jérusalem, est le foyer spirituel de croyances religieuses. L’une des solutions soutenues par Hélène L’Heuillet pour assurer l’ordre de la cité, quand la cohabitation est à la fois insupportable mais inévitable, serait l’instauration d’une police de proximité. « Si le voisinage, comme côte-à-côte, est un espace de conflictualité réglée, il semble nécessaire de penser ce que peut être une police de voisinage », écrit-elle. Car le maintien de l’ordre public ne réside pas d’abord dans sa forme répressive, mais plutôt dans un respect imposé des règles les plus simples. Ce que seule peut cette police de proximité : « Le flic est connu, appelé par son nom, et il noue un contact de parole avec les habitants. » Cette stratégie pourrait porter ses fruits en Israël ? Une seule chose est certaine : l’armée comme la police semblent dépassées par les événements. En témoigne le cafouillage de jeudi, lors duquel l'armée israélienne a annoncé envahir par voie terrestre et aérienne la bande de Gaza avant de faire marche arrière en évoquant un « problème de communication en interne ». Ou encore cette déclaration de Kobi Shabtai, le commandant de la police nationale, il y a quelques jours : « Nous assistons à quelque chose que nous n’avions jamais vu avant dans les villes mixtes. » Plus que jamais, en Israël, la guerre semble se trouver dans le voisinage. Et sa solution aussi.