Micropolis, par Bruce Bégout

Au cours de mon voyage, j’ai souvent été amené à préciser, à ma famille ou à mes amis qui me contactaient, quelle était ma position géographique. Aujourd’hui, je suis à Amsterdam, je suis à Amman, je suis à Bangkok. Mais, en réalité, je n’étais pas à Amsterdam, Amman ou Bangkok, j’étais dans leur aéroport respectif. 

Il est vrai que les villes et leur aéroport ont toujours vécu dans une relation de concubinage. Rares sont les installations aéroportuaires qui ne sont pas liées à une métropole proche et qui se situent loin de la densité urbaine au milieu du désert ou de la campagne. C’est dans les grandes villes que se trouvent le plus fort potentiel de voyageurs, la concentration de la richesse, les compétences techniques et commerciales. Ce lien est si intime qu’au départ de leur histoire de couple la ville nourrissait le fantasme d’une union totale, d’une fusion charnelle. Lorsqu’on regarde les projets de construction des architectes utopistes ou des premiers concepteurs du début du XX^e siècle (Keally, Altvater, Ferris, Corbett, Perret, Sant’Elia), on se rend compte que, très souvent, l’aéroport est entièrement intégré à la ville. Les terminaux se nichent au milieu des avenues ou en haut des gratte-ciel, les pistes s’élancent graciles et effilées le long des boulevards ou sur le toit des gares. Les avions sont vus comme des voitures individuelles, ils circulent juste au-dessus des rues et se posent sur les balcons. Comme on le voit dans Metropolis de Fritz Lang, l’aéroport s’est fondu dans l’espace hyperurbain. En résulte une ville hybride où les fonctions s’entrelacent dans des visions impressionnantes. Mais ce n’est là qu’une fantasmagorie et cela n’a jamais vraiment existé. Très rapidement, pour des raisons bien compréhensibles de sécurité, de nuisances, mais aussi de coût du terrain, les aéroports se sont presque résignés à s’installer au-delà du grand limes urbain, à une vingtaine de kilomètres sur des terrains vierges ou agricoles, là où les risques étaient moindres et l’amortissement plus avantageux. Comme les petits aérodromes bucoliques qui les avaient précédés, ils se sont donc établis loin du centre et de sa frénésie.