Zad duty free, par Bruce Bégout

Pour surmonter l’ennui, il n’existe pas de meilleure méthode que de s’y abandonner pleinement. Le même problème découle de la réalisation d’une tâche ingrate et répétitive. Plus on cherche à lui échapper, ou à la transformer en quelque chose de gai, plus elle devient pénible. Ne reste dès lors que la solution de s’y consacrer sans arrière- pensée. On se rend compte au bout d’un certain temps que l’impression de gêne disparaît d’elle-même. 

Les aéroports forment des espaces où l’ennui s’étale et prend ses aises, comme s’il se sentait chez lui. Les sollicitations peuvent être diverses, et parfois divertissantes (espaces de jeu, bars trendy, boutiques rutilantes, salles de massage, etc.), elles ne peuvent pas toujours à elles seules meubler l’attente. Le temps nous semble prendre la forme d’un immense bloc de marbre immobile et austère. On ne sait comment le sculpter, comment y inscrire sa propre durée. Si les gens autour de nous paraissent suivre des temporalités différentes, en fonction de leur chronobiologie comme des horaires de leur vol, nous nous retrouvons pour notre part avec un paquet d’heures dans les bras dont nous ne savons que faire. S’il est vrai que les smartphones forment à présent des auxiliaires de vie et œuvrent à l’affaiblissement progressif de cette sensation si étrange d’ennui, peut-être en passe de disparaître, il n’empêche que l’on trouve encore le temps long et que l’on préférerait être déjà arrivé à destination. Lors de mon périple, je devais parfois attendre plus de douze heures de suite entre deux escales. Je pouvais bien entendu lire, activité devenue visiblement minoritaire dans les salles d’embarquement, où les deux tiers des voyageurs regardent, la tête légèrement penchée en avant, dans une attitude de prière ou de prostration, l’écran polychrome de leur portable sur lequel, j’ai vérifié discrètement par-dessus leurs épaules, s’agitent le plus souvent des chats farceurs, des combattants de MMA, des briques du jeu Tetris, je voulais vivre l’expérience commune du voyageur lambda. Aussi me suis-je souvent rendu dans les divers espaces que propose l’aéroport, notamment dans les omniprésentes zones en duty free.