Osez la philo !

« Autant abattre mes cartes, c’est moi, c’est l’Italien, le VRP de la philosophie, est-ce qu’il y a quelqu’un, est-ce qu’il y a quelqu’une ? Si oui, frappez deux coups chez votre kiosquier pour y découvrir notre numéro spécial consacré à l’initiation à la philosophie. Il est jaune, il est beau, et les Beatles de la philo sont en couverture, façon Abbey Road. Here Comes the Sun!

Ça doit être la crise de la septantaine. Avec mon tropisme scientifique revendiqué, je dois reconnaître que si l’entreprise scientifique de dévoilement du monde me rend fier d’être humain, à l’usage, la philo, c’est pas mal non plus ! Un poil obscure parfois, avec les tenons et mortaises du raisonnement enfouis sous des couches de vocabulaire plus épaisses que la graisse de phoque sur le corps d’un Alakaluf. Mais qu’importe le flacon – in vino veritas – ce vin-là vous retourne le sens et on peut le boire à tous âges. C’est même recommandé : philosopher, vous dis-je ? C’est apprendre. Apprendre à mourir ? Bof, j’en sais rien, je vous dis ça après. Apprendre à vivre ? Ah oui, sans doute, mais un peu généraliste, non ? Bon, je n’ai pas la définition rêvée. Vite, une citation. Rien de tel qu’un Grand Ancien pour tenir la lampe, tiens : “On peut vivre sans philosophie, écrit Vladimir Jankélévitch, sans musique, sans joie et sans amour. Mais pas si bien.” Bravo, pas de définition, mais bravo avec un bémol – que n’a-t-il mentionné les sciences dans sa liste ! La vérité, c’est qu’il y a autant de définitions que de philosophes. Chacun construit la sienne au terme d’expériences qui lui sont propres ; par conséquent, on ne s’initie pas à la philosophie comme à l’astronomie, à la biologie ou au surf. Quoique. Qu’est-ce qu’une initiation ? C’est la transmission d’une méthode, d’une histoire, d’un désir — Vous montez sur la planche, oui, sur le sable pour commencer, et vous allez essayer de bien trouver votre équilibre. Voilà, les pieds perpendiculaires à la planche, pas entre eux, ah, vous êtes tombé, c’est rare à ce niveau, mais il faut un début à tout.

Bref, nous avons demandé à des philosophes, une dizaine au total, de témoigner de leur entrée dans la carrière ; comment la philosophie est venue à eux et eux à elle ; quel a été le premier déclic : la colère pour l’une, la parole d’un grand prof pour un(e) autre, le frisson amoureux pour un troisième, et encore le mal-être, le décalage, le sentiment de voir des rois nus à chaque coin de rue. Le fait est qu’à les lire, on comprend qu’il n’y a pas de règle, pas de sésame, pas de maître à lire en révérence selon une chronologie imposée. Parfois, le déclic surgit avec la concordance, l’accord, l’harmonie avec un texte clair et lumineux. Parfois, au contraire, il surgit en raison de l’opacité, de l’étrangeté, de l’impénétrabilité d’un raisonnement qui échappe, résiste, rebute mais suggère qu’il y a – peut-être – un trésor à dénicher pour qui saura persévérer. Question de goût, d’enfance, d’aptitude, de hasard ou de nécessité.

Qu’est-ce qu’une initiation à la philosophie ? C’est une promesse (de clarté, de simplicité sans doute, mais surtout la promesse que le détour en vaut la peine) et une affirmation, celle que “le philosophe, comme l’écrit Maurice Merleau-Ponty, est un commençant perpétuel. Cela veut dire qu’il ne tient rien pour acquis de ce que les hommes ou les savants croient savoir. Cela veut dire aussi que la philosophie ne doit pas elle-même se tenir pour acquise dans ce qu’elle a pu dire de vrai, qu’elle est une expérience renouvelée de son propre commencement, qu’elle consiste tout entière à décrire ce commencement”. On ne saurait mieux dire. Philosopher, c’est commencer. »

➤ Recevez la newsletter quotidienne et gratuite de Philosophie magazine dans votre boîte mail. Et pour profiter de tous nos articles, choisissez l’offre d’abonnement payante qui vous convient le mieux.