Plaidoyer pour la dissert

Le niveau a tellement baissé… Il faudrait en prendre acte et changer en conséquence la nature des épreuves de philosophie : cette dissertation trop élitiste, « bourgeoise » disait déjà Pierre Bourdieu, et cette explication de texte trop savante – autant d’anachronismes honteux, d’atteintes à la dignité de nos lycéens analphabètes et incultes.

Qu’en est-il de la dissertation ? Elle favoriserait ceux qui ont toujours entendu, à la table de leurs parents, un langage soutenu et des exposés en trois parties. Fabricatrice d’« héritiers », elle disqualifierait les jeunes de milieux plus modestes, mieux armés pour affronter une épreuve du type « histoire des idées » – pour répondre à des questions précises (Qu’a dit Kant de la liberté ? Que pense Platon de la démocratie ?, etc.). Où l’on retrouve la rhétorique usuelle des « réformateurs »… la dialectique hégélienne, c’est manquer de respect aux enfants de Seine-Saint-Denis. Des QCM de philo, ça, c’est du respect ! L’argument de la langue handicapant certains adolescents moins « bourgeois », qui pourrait être audible, est de toute façon balayé par un argument autrement plus décisif : la dissertation n’est pas cette pratique hautaine et élitiste mais aussi, simplement, un mode d’expression personnel décisif justement pour ces lycéens-là. Elle est une invitation à – plus encore, elle donne une méthode pour – questionner l’opinion commune, qui peut d’ailleurs être « bourgeoise », résister à la charge des clichés ou évidences et, finalement, au travers de ce cheminement méthodique, parvenir à se faire son opinion et à s’engager sur sa réponse. Elle permet donc à l’individu de s’exprimer là même où, socialement, économiquement, ses chances de pouvoir s’exprimer sont pour l’instant réduites. Elle donne à chacun, par rapport à la question posée, la même chance de pouvoir exprimer son avis argumenté. Voila qui n’est pas exactement fabriquer des héritiers.