Trois bonnes raisons de lire la “Critique de la raison pure” de Kant cet été

On a tous en tête un grand musée dont on se dit qu’on n’aurait jamais le temps d’en visiter tous les recoins en un week-end. L’occasion se présente enfin alors qu’une ou deux semaines de pleine liberté se dégagent en juillet ou en août… Or, il en va de certains lieux iconiques comme des grandes œuvres de la littérature philosophique. Pourquoi ne pas profiter de l’été pour entrer enfin dans cette cathédrale qu’est la Critique de la raison pure (1781) d’Emmanuel Kant ? On vous donne trois bonnes raisons pour sauter le pas.

Pour se confronter aux grandes questions de l’existence

Quand sous un ciel nocturne de juillet l’esprit contemple la voûte céleste, il se heurte aux grandes questions de l’existence. D’où venons-nous ? L’univers a-t-il un ordre ? Un commencement ? Une limite ? Une cause première ? Or là où la Critique a le mérite de se distinguer dans son approche, c’est qu’au lieu d’apporter des réponses, elle s’interroge sur l’origine proprement humaine de ces questionnements métaphysiques. C’est que la raison humaine est naturellement amenée à se poser une foule de questions fondamentales… sans pour autant posséder les moyens d’y répondre. Au lieu de nous lamenter sur notre impuissance intellectuelle, Kant nous console en détaillant les causes de cette impuissance.

Pour explorer et reconnaître les limites de la raison, créatrice d’illusions

Notre esprit est ainsi fait qu’il ne se satisfait jamais de ce qu’il connaît par l’intermédiaire des sens, mais qu’il recherche toujours à étendre son savoir au-delà des limites de son intelligence. Or, la faculté qui le pousse à tourner le regard vers l’Absolu – l’absolument grand, lointain, premier, libre… – c’est la raison, dont Kant nous dit qu’elle recherche « derrière la série des conditions, l’élément inconditionné et absolu ». C’est au cœur de la raison que naissent les idées de Dieu, de commencement du monde, d’immortalité de l’âme, etc. Contemplant ainsi ses propres Idées, la raison en vient à les confondre avec des êtres véritables. Le spectacle seulement sensible ou empirique qu’offrent nos sens satisfait amplement l’intelligence logique (« l’entendement ») ; mais la raison, toujours avide d’absolu, ne peut s’empêcher, curieuse qu’elle est, de questionner ce qui se situe par-delà le spectacle de nos sens. Un au-delà qui, cependant, se refuse entièrement à notre capacité de connaître : essayer de l’atteindre, ce serait comme chercher à grimper aux cieux avec pour seul outil une échelle…

Pour devenir enfin adulte, c’est-à-dire identifier l’origine humaine de nos questionnements métaphysiques

Dans l’ultime chapitre de la Critique, intitulé « Histoire de la raison pure », Kant esquisse trois « âges de la raison » :

• Devant ces questions que suscite la raison, on est d’abord « enfant » : le ciel étoilé, la beauté du monde, tout cela indique que Dieu existe et que notre âme immortelle sera récompensée dans l’au-delà.
• Mais parce qu’aucun argument véritable ne permet d’attester la vérité de ces intuitions merveilleuses, la raison devient « adolescente » : elle rejette ces réponses enfantines et devient « sceptique ». À quoi bon Dieu ? À quoi bon la morale ? À quoi bon la science elle-même, puisque notre intelligence ne connaîtra jamais les vérités cachées de l’Univers ?
• Kant, lui, amorce « l’âge adulte » de la raison : reconnaître que ces questions naissent de l’intériorité même de la raison. Non, nous ne pourrons jamais connaître l’origine absolue de l’Univers. Cette tâche sublime, notre raison a cru qu’elle était à sa mesure – comme si le monde des « choses en soi » pouvait faire l’objet d’une quelconque intuition sensible. Avec Kant, il s’agit désormais de revenir au monde bien réel, celui de la perception, de la logique et de l’espoir jamais entièrement certain d’une récompense pour nos bonnes actions. La science est possible, à condition d’admettre qu’elle ne répondra jamais aux questions ultimes. Et la morale est possible, à condition de ne jamais sombrer dans le dogmatisme qui tient Dieu ou l’immortalité pour des vérités indiscutables. Bonne lecture !

Grand classique de la philosophie, la Critique de la raison pure d’Emmanuel Kant est disponible dans de nombreuses éditions, dont celle des Presses universitaires de France.