Michaël Fœssel : “L’humanité, c’est la liberté. Point final”
Vu de France, Emmanuel Kant est, par excellence, le philosophe qui apporte les Lumières au genre humain, l’homme qui fait triompher la raison contre l’obscurantisme et l’universel contre le particulier. Sauf qu’il n’est pas seulement le héraut de la raison, mais aussi son critique. Pourquoi ? La réponse avec un spécialiste, le philosophe Michaël Fœssel qui explique en quoi le geste critique a bouleversé notre façon de penser le monde.
Kant, c’est l’homme de la critique, le mot-clef de son œuvre : ce mot est neuf en philosophie ?
Le mot « critique » vient très tard dans son parcours. Kant naît en 1724 et publie la Critique de la raison pure en 1781, il a pratiquement 60 ans. Au soir de sa vie, il se réveille de ce qu’il appelle son « sommeil dogmatique ». Exemple unique en philosophie, à ma connaissance, d’une si longue maturation. La critique est d’abord une autocritique : Kant avait enseigné jusqu’ici la philosophie d’inspiration leibnizienne qui dominait l’université de son époque. Une philosophie somme toute assez naïve qui considère que les progrès acquis grâce à la science newtonienne peuvent se traduire dans le champ de la philosophie. Il engage avec la Critique de la raison pure une remise en cause radicale de cette forme -d’optimisme. Il y a quelque chose d’émouvant dans cette manière de tout recommencer à zéro sur le tard et de rechercher un sol ferme pour le savoir. D’autant plus que Kant rédigera deux autres critiques en neuf ans : de 1781 à 1790, il explore la philosophie de la connaissance avec la Critique de la raison pure, la morale avec la Critique de la raison pratique, l’esthétique et la pensée du vivant avec la Critique de la faculté de juger. C’est le philosophe des recommencements permanents. Kant consacrera d’ailleurs les toutes dernières années de sa vie à établir un nouveau système de la liberté, comme s’il fallait une fois encore tout reprendre depuis le début.
“La philosophie s’identifie aujourd’hui communément à la critique des autorités en matière de savoir et de pouvoir, mais ça date précisément de Kant”
Cent fois sur le métier critiquez votre ouvrage... Mais que Kant critique-t-il, au fond ?
« Notre siècle est le siècle de la critique », écrit-il au -début de la Critique de la raison pure, ce qui indique qu’il est tout à fait conscient d’appartenir à la période des Lumières. Il fonde le geste critique en philosophie, ce qui, en soi, ne paraît pas très original à des oreilles contemporaines comme les nôtres. La philosophie s’identifie aujourd’hui communément à la critique des autorités établies en matière de savoir et de pouvoir mais, précisément, cela date de Kant. Il y a des prémices chez Descartes, mais c’est à Kant qu’on doit l’idée que la philosophie a pour fonction non pas de produire un savoir positif ou doctrinal sur Dieu, l’âme ou la liberté, mais de réfléchir aux conditions de possibilité d’un discours vrai sur Dieu, l’âme ou la -liberté.
Comme son étymologie l’indique, la critique -résulte d’une crise. Elle naît de ce que Kant diagnostique comme étant la crise de la métaphysique, à savoir que les discours portant sur les choses qui sont hors de l’expérience – Dieu, l’âme ou la liberté – se contredisent sans que l’on puisse les départager. Certains prétendent que l’âme est matérielle, d’autres qu’elle est immatérielle, les uns affirment et les autres nient l’existence de Dieu, etc. À partir de là, Kant identifie une crise dans les fondements du savoir. Et, pour sortir de l’arène métaphysique, ce « Kampfplatz », dit-il, où les philosophes s’opposent de manière vaine et interminable, eh bien il ne faut pas y entrer, mais réfléchir aux règles du jeu. Le geste critique consiste à interroger les conditions qui rendent les discours vrais. À quelles conditions est-il possible d’accéder à une connaissance objective ?
Donc c’est un examen de la raison par la raison ?
Un examen de la raison par la raison, oui, ce qui suppose évidemment, pour que la formule ne soit pas contradictoire, que le mot de raison n’ait pas le même sens dans les deux occurrences. Il s’agit d’un examen de la raison dogmatique ou « pure », celle qui prétend détenir un savoir certain sur le suprasensible, sur ce qui dépasse l’expérience. Cet examen des savoirs métaphysiques est effectué par une raison dont Kant invente l’usage, qui est la raison examinatrice. Autrement dit, c’est une raison critique qui va s’intéresser aux conditions de possibilité d’un discours vrai par le biais d’une méthode baptisée la méthode transcendantale.
En quoi consiste-t-elle ?
La méthode transcendantale ne cherche pas à connaître, mais interroge les conditions de possibilité de la connaissance. Par exemple, un savoir qui ne tient pas compte des conditions sensibles dans lesquels apparaissent les phénomènes (l’espace et le temps) perd toute valeur objective et scientifique. La philosophie transcendantale a d’abord pour tâche d’établir l’ensemble des conditions d’un savoir, à la fois du côté du sensible et du côté de l’entendement. Par conséquent, elle rétrocède du dit (le contenu des énoncés) au dire (leur forme). Elle remonte de ce qui est dit par la -philosophie, la métaphysique, mais par extension aussi par la science, aux facultés qui permettent de dire légitimement, de manière à produire un véritable savoir et pas une illusion de connaissance.
Qu’y a-t-il de nouveau par rapport au doute cartésien ?
L’illusion n’est pas, comme chez Descartes, l’illusion des sens. Kant considère que la perception sensible ne nous trompe pas, puisqu’elle n’affirme rien. Lorsque je vois du rouge, je vois du rouge. Au niveau de la sensation, il n’y a ni jugement ni affirmation. On se situe donc en deçà de la vérité et de l’erreur. Le risque survient dès qu’il y a un jugement : par exemple si je dis que tel rouge est l’essence de cette pomme. L’illusion la plus profonde, celle que Kant appelle l’illusion transcendantale, relève de la raison. Elle consiste à croire que l’on peut connaître ce qui se situe au-delà du sensible comme on connaît ce qui est dans le monde. C’est la grande thèse de Kant qui bat en brèche l’idée cartésienne selon laquelle la méthode mathématique peut être appliquée indifféremment à ce que nous pouvons voir et à ce que nous pouvons penser. Pour Kant, par exemple, il ne peut exister de démonstration de l’existence de Dieu car Dieu désigne une « chose », ou plutôt une idée, radicalement différente des objets mathématiques donnés dans l’intuition et qui sont susceptibles de démonstration.
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