Comment cultiver la bonne humeur ?
Numéro 178 - Avril 2024Proposer un dossier sur la méthode du bonheur ou l’art de la joie serait presque indécent, alors que la rumeur du monde est morose et que les gens souffrent. Mais notre objectif est plus modeste : il s’agit d’essayer de cultiver une forme de bonne humeur… malgré tout. Cet objectif est-il tenable ? Comment faire ?
Édito
Qu’est-ce qui distingue une émotion – comme la joie ou la gaieté – de la bonne humeur ? La réponse habituelle est que l’émotion admet une cause,…
Signes des temps
38 %C’est la part des Français qui, s’estimant en mauvaise santé, renoncent finalement à des soins pour des raisons financières, selon une étude révélée par l’UFC-Que choisir fin février. Le rapport pointe des dépassements d’honoraires de plus…
Pour financer sa campagne présidentielle, Donald Trump a lancé sa marque de baskets au prix fort de 399 euros la paire, à la mi-février. Des chaussures à…
“Ma famille me permet de relativiser les difficultés politiques”Gérald Darmanin, le 21 février, dans un portrait paru dans Paris-Match“La famille est […] le premier modèle des sociétés politiques”Jean-Jacques Rousseau, Du contrat social …
« Démocratie de l’instant » : l’expression est apparue en 2022 sur la scène latino-américaine sous la plume du politologue Antoni Gutiérrez-Rubí…
Sept ans après le début de #MeToo, la parole se libère chez les hommes victimes de violences sexuelles avec le lancement de #MeTooGarçons sur X (ex-Twitter). « Si l’on entend moins les hommes, c’est avant tout parce qu’ils sont moins victimes…
Les choix de la rédaction
Faut-il introduire la « tenue unique » dans les écoles françaises ? Le débat fait rage depuis que l’exécutif a émis l’idée et lancé…
Les Britanniques sont confrontés à une résurgence de maladies de l’ère victorienne. Ce phénomène montre que l’immunité est une construction…
Réélu triomphalement le mois dernier, le président du Salvador jouit d’une popularité exceptionnelle en dépit de son autoritarisme grandissant…
Convaincu que le temps est devenu la « ressource rare ultime » à l’ère de l’accélération, l’économiste Pierre-Noël Giraud appelle à une…
Hommage
Essai libre
C’est la question originale que pose le philosophe spécialiste de la technologie Pascal Chabot dans cette réflexion où il se penche sur l’avenir…
Jeux de stratégie
Le premier de la classe du Petit Nicolas de Goscinny et Sempé semble inspirer la communication du Premier ministre et de la tête de liste du…
Nouvelles vagues
Le président de la République en appelle à un « réarmement civique » de la jeunesse. Mais ne serait-ce pas leurs aînés qui semblent…
Là est la question…
LE DILEMME DE LOUISE« Avec mon compagnon, nous nous demandons si nous devons passer le cap de la réalisation d’un fantasme sexuel : inviter une…
Entretien
La bulle de savon, un objet philosophique ? C’est de ce presque rien dont s’empare Pierre Zaoui dans son nouveau livre, Beautés de l’éphémère…
Reportage
Appui vital, fidélité indéfectible, liens d’une profondeur insoupçonnée… Le chien occupe une place centrale dans la vie des sans-abri. Nous sommes…
Vertiges
Anatomie d’une chute a été distingué par les prix les plus prestigieux, dont dernièrement l’oscar du meilleur scénario original. Le film nous met…
Dossier
Comment cultiver la bonne humeur ?
Publié leProposer un dossier sur la méthode du bonheur ou l’art de la joie serait presque indécent, alors que la rumeur du monde est morose et que les gens souffrent. Mais notre objectif est plus modeste : il s’agit d’essayer de cultiver une forme de bonne humeur… malgré tout. Cet objectif est-il tenable ? Comment faire ?Parcours de ce dossier> Et vous, qu’est-ce qui vous met de bonne humeur ? C’est la question que nous avons posée à cinq philosophes, Laurence Devillairs, Éric Fiat, Ilaria Gaspari, Slavoj Žižek et Natalie Depraz. Ils nous donnent leurs pistes parfois classiques, comme la marche ou la musique, et parfois déconcertantes, comme le découpage des magazines ou les vidéos YouTube.> De l’échelle géopolitique à l’alcôve, des affrontements armés à la récession de l’activité sexuelle, les nouvelles ne sont guère réjouissantes. Nous affirmons qu’il est tout de même possible de soutenir le moral en empruntant trois voies : le souci des équilibres du corps, un certain volontarisme prôné par le philosophe Alain, qui ne renierait pas la méthode Coué, et enfin l’engagement.> Quand nous nous réveillons du bon pied, n’est-ce pas que nos équilibres internes ont été modifiés, parfois à notre insu ? Comment se forment nos humeurs ? Comment varient-elles? Réponse avec un spécialiste de la médecine antique, une endocrinologue, un neuropsychologue et une psychanalyste.> Mais l’oscillation de notre état émotionnel se poursuit tout au long de la journée, et nous proposons ici une trajectoire idéale inspirée par les conseils de vie des philosophes de la tradition, comme Sénèque, Thoreau, Sloterdijk ou Madame de Staël.> Comment aider un enfant hospitalisé à retrouver le sourire ? Pour le savoir, nous avons suivi à l’hôpital Ambroise-Paré de Boulogne-Billancourt deux clowns de l’association Le Rire Médecin dans leur pratique tout en subtilité.> Car le rire est peut-être ce qui allège le mieux les tourments de l’existence : un constat sur lequel s’entendent dans un dialogue détonnant la philosophe Olivia Gazalé, qui publie Le Paradoxe du rire, et Matthieu Babin alias le drag queen Sara Forever, finaliste de la deuxième saison de Drag Race France.
Pour bien commencer ce dossier, nous avons posé cette question simple à cinq philosophes, qui délivrent leur secret pour garder la forme !…
L’humeur ne se décrète pas, c’est entendu. Mais, moins grandiose que le bonheur ou la joie, c’est elle qui fait de nos journées une vivifiante…
D’où vient la bonne (ou la mauvaise) humeur ? De soudaines décharges hormonales ou de souvenirs enfouis ? Pour le savoir, nous avons…
Si les grands penseurs ne sont pas tous des boute-en-train, certains ont imaginé des moyens de ne pas gâcher leurs journées en se laissant envahir…
Comment faire naître un sourire dans un milieu qui, a priori, ne s’y prête guère ? C’est la mission des clowns de l’association Le Rire médecin,…
Finaliste de la deuxième saison de l’émission Drag Race France, Matthieu Barbin cultive la bonne humeur corrosive comme une seconde nature, il en…
Les clés d’un classique
Faisant de l’enracinement un besoin existentiel indispensable, la philosophe revendique un engagement courageux dans le monde et pour les autres……
Chez Weil, le concept d’enracinement est lié à celui du passé. Il ne faut pas y voir une posture réactionnaire mais l’affirmation d’une tradition et d’une communauté au sein desquelles l’action est possible.
L’inconnue célèbre
Morte à seulement 30 ans, cette philosophe, poète et femme d’engagements a élaboré au XIXe siècle un système de pensée original …
Livres
On se le représente comme un mouvement philosophique qui serait né en Allemagne à la fin du XVIIIe siècle, en réaction contre les Lumières et la Révolution française, avec des penseurs comme Novalis, Herder ou les frères Schlegel qui s’opposent…
Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour
Publié le« Il n’y a pas de pays, pas de peuple […] où la question des rapports entre les sexes n’ait pris un caractère de plus en plus brûlant et douloureux », écrit Alexandra Kollontaï, diagnostiquant une « crise sexuelle aiguë », ponctuée de « drames sexuels ». Cette phrase, qui pourrait avoir été prononcée aujourd’hui en France, après les récents scandales qui agitent le cinéma français comme la société dans son ensemble, a été formulée en plein cœur de la Russie soviétique par cette militante communiste née en 1872 à Saint-Pétersbourg. En terre bolchevique et au milieu de camarades de lutte masculins, celle qui était surnommée la « Jaurès en jupon », échafaudait un projet de société d’une troublante modernité : la « réinvention des formes de l’amour et de la sexualité ». Dans cet essai palpitant qui entremêle éléments biographiques et extraits de ses livres et de ses discours, les deux auteurs – l’une spécialiste du monde slave et l’autre philosophe politique – retracent ce combat ardent, jalonné d’embûches et de déceptions, qui s’achèvera par une carrière de diplomate, loin des terres russes où elle a œuvré jusqu’en 1924. Être une femme, vouloir réinventer l’amour : cela suffit pour éveiller les soupçons, à commencer par ceux de Lénine lui-même. Comment peut-on être communiste et se préoccuper d’histoires de sexualité ? En quoi cela concerne-t-il la lutte ? Pour le leader bolchevique, ces conceptions « philistines » ne peuvent être le fruit que d’une bourgeoisie oisive aux mœurs dissolues. Parmi les idées qui heurtent le plus : la théorie du « verre d’eau » attribuée à Kollontaï, selon laquelle avoir un rapport sexuel « devrait être aussi simple et sans plus d’importance que de boire un verre d’eau ». Autrement dit : il ne faudrait pas culpabiliser d’entretenir des rapports sexuels et amoureux avec plusieurs personnes. Cet « amour multiforme et multicorde » est bien l’ancêtre communiste de ce que l’on appelle désormais le « polyamour ».En réponses aux critiques, celle qui a été la première femme à siéger au gouvernement soviétique rappelle sans relâche que repenser l’amour, et plus largement la forme « famille », n’a rien d’une lubie bourgeoise. Il ne s’agit pas seulement de libérer les mœurs mais de répondre à la souffrance des ouvrières, qui sont condamnées à endurer ce qu’elle appelle déjà la « triple charge » de travailleuse, de mère et de femme. Kollontaï entretient par ailleurs un rapport critique avec l’« amour libre », pratiqué dans un monde capitaliste. Dans une société compétitrice et marquée par la réduction des périodes de temps libre, l’individu souffre d’une « impotence amoureuse », qui l’empêche de cultiver des relations profondes avec ses semblables. Loin du libertinage bourgeois fustigé par Lénine, l’amour qu’elle appelle de ses vœux est une forme de camaraderie érotique volubile, délestée du désir corrosif et possessif. Elle plaide à ce titre pour l’abolition du mariage monogame, véhiculant le sentiment « si profondément ancré, du droit sur le corps, mais aussi sur l’âme du partenaire ». Le vernis romantique de cet idéal bourgeois, qui prône la fusion entre deux partenaires, est pour elle à l’origine de grandes souffrances, y compris dans sa vie personnelle. « II fallait que je m’en aille, il fallait que je rompe avec l’homme que j’avais choisi, sinon […] j’allais m’exposer au danger de perdre mon identité », écrit Kollontaï, dans ses mémoires, Autobiographie d’une femme sexuellement émancipée, récemment réédités aux Milles et Une Nuits (120 p., 6 €). Œuvrant pour libérer les amours en général, autant que les siennes en particulier, elle illustre par l’exemple cette idée profondément moderne selon laquelle le privé est politique.
Les victimes seraient-elles devenues le centre de gravité de l’histoire, celles et ceux avec qui l’on s’identifie, qu’on commémore et qu’on…
La Surprise
Publié leOn les adore ou on les déteste. Il y a les petites et les grandes. Les bonnes et les mauvaises – les divines, aussi, parfois… Les surprises trament et troublent continuellement nos vies. Or, selon la phénoménologue Natalie Depraz, la philosophie a tendance à les négliger, soit qu’elles paraissent trop anecdotiques, soit qu’elles échappent à une approche rationnelle, systématique, du réel. Sorte de coup de théâtre, la surprise « met en crise mes représentations » : ce qui se produit ne correspond pas à ce que je connais et attends d’une situation ou d’une personne. Soudain, autrui me déroute par son comportement. Source de malentendus tantôt comiques, tantôt tragiques, cet effet de « décalage » intempestif fait le lit et le sel de la surprise. Voici un ouvrage qui lui-même désarçonne : dans son investigation du phénomène, Depraz se livre à des considérations très techniques, dans des champs aussi variés que la psychopathologie, les neurosciences ou la théologie, mais elle contrebalance ces exposés théoriques par des récits personnels, écrits à la première personne, comme lorsqu’elle évoque la disparition brutale d’un ami cher, choc qui lui rappelle douloureusement la perte antérieure de son mari. Ce mélange des genres n’a rien de gratuit : la surprise, insiste l’auteur, est une expérience intime qui bouleverse corps et âme, à la fois charnelle, affective et spirituelle. Une certaine préséance est d’ailleurs accordée aux « surprises qui transcendent », à ces révélations qui font surgir dans le cours de la vie les sentiments du beau, du juste ou même du divin. De ces épiphanies, la philosophe tire une éthique : au lieu de vouloir tout maîtriser, tout contrôler, il s’agit de s’ouvrir aux puissances de l’imprévisible et du nouveau, qui ne laissent pas indemne. Cet « accueil vigilant » fait de la surprise non plus « un ennemi à abattre » mais un « hôte de mon être ». Un hôte qui me transforme, me transfigure : tel est pris celui qui lâche prise et se laisse (sur)prendre.
Le Volume du temps. Tome 1
Publié leIl est des classiques qu’il paraît impossible de réinventer. Comme Un jour sans fin, film culte où Bill Murray se voit coincé, avec humour mais pour l’éternité, dans une même journée. Pourtant voici Solvej Balle, autrice danoise dont la saga en sept volumes, coiffée du Goncourt nordique, s’apprête à paraître dans vingt pays. Le Volume du temps raconte en effet l’étrange épopée de Tara Selter, une antiquaire partie à Paris pour examiner un ouvrage, et se trouvant bloquée dans une journée automnale : le triste dix-huit novembre. Toutefois la comparaison avec le film s’arrête ici. Car le ton n’est pas à la comédie, mais à une méditation douce-amère sur le passage du temps, entre Prévert et Einstein. Surtout, Tara est mariée dans cette histoire. L’enjeu n’est donc pas de séduire Andie MacDowell, mais de trouver du sens à son amour pour Thomas, qu’elle rejoint vite dans leur domicile du nord de la France. Peut-on continuer à aimer quelqu’un pour qui le temps redémarre à l’identique chaque matin ?Idée géniale : les chapitres relatent chacun un dix-huit novembre unique et numéroté, permettant à l’autrice d’alterner les registres, passant de l’analyse d’un couple en apparence heureux, mais dont la « conversation est en train de se changer en un simple lien sonore, en un murmure amoureux ne faisant qu’accentuer l’éloignement », au rébus philosophique : « Le vertige ne nous saisit que lorsque le monde nous apparaît tel qu’il est : incohérent, imprévisible et absurde. » Et Tara de se convertir en phénoménologue, si la phénoménologie est bien la conscience du réel par la perception qu’en a le sujet. « Qu’est-ce que j’entends ? s’interroge la narratrice, cachée à l’étage de sa maison. Mon amoureux vidant sa vessie, un homme faisant pipi debout, mon mari qui pisse, un fantôme qui urine ? D’ailleurs, est-ce que j’entends quelque chose ? » Comme si le temps était devenu matière. Sinon un lieu – au détour de cette terrible formule : « J’habite le dix-huit novembre. » Par un poétique tour de force, Le Volume du temps se lit tel un polar : à mesure qu’approche le jour 365, le suspense grandit. La boucle annuelle remettra-t-elle le temps en marche, ou donnera-t-elle raison à Bergson, lorsqu’il écrit : « Notre durée est irréversible. Nous ne saurions en revivre une parcelle, car il faudrait commencer par effacer le souvenir de tout ce qui a suivi » ?
Spinoza Code
Publié leOn la connaissait plus volontiers philosophe ou dramaturge : voici Mériam Korichi enquêtrice. Avec un art consommé de la mise en scène qui romance des faits bien réels, son récit s’ouvre sur la consultation, à la bibliothèque du Vatican, d’un manuscrit de l’Éthique de Spinoza découvert il y a quelques années dans les archives de l’Inquisition. Comment s’est-il retrouvé là et qui a rédigé la feuille de notes volante qu’on a retrouvée à l’intérieur ? Flash-back historique : nous sommes en 1674 dans la banlieue de La Haye, dans la maison de Spinoza où le philosophe vient d’achever la rédaction de son Éthique. Se sachant menacé, il hésite à la faire publier. C’est donc sous le manteau qu’une copie circulera dans les milieux des savants à Amsterdam, à Londres, à Paris et à Rome, au cœur de cette atmosphère d’effervescence intellectuelle propre au siècle où sont discutées les idées nouvelles entre philosophie, sciences et querelles religieuses. On y croise notamment Tschirnhaus, jeune mathématicien à l’esprit curieux, la Royal Society londonienne, la reine Christine émigrée dans le quartier romain du Trastevere ou encore Leibniz qui, à cette époque, se montre extrêmement attiré par le spinozisme. Avec son art de rendre vivantes les situations, Korichi nous fait voir au plus près les questionnements que le spinozisme fait naître chez tous ces érudits. Moins ésotérique mais plus sérieux que le Da Vinci Code de Dan Brown auquel son titre fait un clin d’œil, ce Spinoza Code est aussi haletant qu’un polar.
Vita contemplativa
Publié leÀ foncer tête baissée, nous ne pouvons, nous ne savons plus nous arrêter. Intégral, le culte du travail et de la performance serait-il en train de ronger l’homme, de saper sa meilleure part ? Le philosophe allemand d’origine sud-coréenne Byung-Chul Han est formel : la survalorisation contemporaine de l’activité est un leurre et une menace existentielle. À ses yeux, le sursaut consiste à retrouver le sens et le goût de ce qui s’y oppose frontalement, à savoir « la vie contemplative ». Celle-ci n’est pas abordée sous un angle privatif, comme une absence, un vide ou un manque. C’est un écart qui a valeur de résistance. Réactivation de l’otium des penseurs de l’Antiquité, la vie contemplative s’arrache à l’affairement productif ; elle ne poursuit pas de but, ne vise ni ne sert à rien. Désintéressée, sans pourquoi, elle relève de l’authentique « temps libre », c’est-à-dire libéré des injonctions du faire imposé. Multipliant les références à en étourdir parfois le lecteur, Byung-Chul Han prend pour exemples la flânerie, l’ennui, la fête – notamment rituelle, tel le shabbat juif qui met entre parenthèses la temporalité quotidienne – ou encore la communion avec la nature : à chaque fois, l’inactivité rompt avec la course folle du toujours-plus et éveille notre « capacité à éprouver les choses », à s’abandonner au monde tel qu’il est. Même si le propos s’entoure d’un air de déjà-lu (on pense notamment aux concepts de « désœuvrement » chez Giorgio Agamben ou à celui de « résonance » proposé par Hartmut Rosa), le philosophe défend bec et ongles sa célébration de ces moments suspendus où l’existence, affranchie de tout projet, renoue avec sa « forme intense et éclatante ». De la vie contemplative comme promesse et « formule fondamentale du bonheur », ni plus ni moins.
Le Pourquoi du comment
Publié leS’orienter « dans la vie grâce à la philosophie », « mais aussi dans la philosophie, à partir de la vie » : ce double mouvement rythme la réflexion de Frédéric Worms, qui oppose moins les affects et les idées qu’il ne les relie à travers un « vitalisme critique ». De ses livres (dont le magnifique Revivre) à ses chroniques sur France Culture (« Le pourquoi du comment ») ici rassemblées, il se rend attentif à ce qui surgit de la vie pour y puiser des questions universelles : comment vivre dans la durée ? Pourquoi faut-il parfois lire entre les lignes ? Comment établit-on une responsabilité ? Dans ce va-et-vient entre causalité (« pourquoi ») et effet (« comment »), mais aussi entre histoire et présent de la philosophie, une vision s’esquisse clairement. Par son mode d’adresse, exigeant et accessible à la fois, Worms suggère que si la clarté n’est jamais « aussi simple qu’elle en a l’air », elle est « toujours la norme qui doit nous orienter » dans la vie, dans la pensée, dans ses chroniques mêmes. Tous les grands livres de philosophie, y compris les plus ardus, ont d’ailleurs « quelque chose d’extrêmement simple » – une clé « cachée à l’intérieur, souvent en leur cœur ». Circulant parmi ses auteurs fétiches (Bergson, Canguilhem…), Worms livre ses clés personnelles, moins pour se mettre à nu que pour mettre au jour l’amplitude du geste philosophique selon lequel « il n’y a pas de vie qui soit possible sans le sentiment que nous participons à définir sa propre qualité ». Le lisant à la hauteur de cette quête, ce sentiment nous traverse : mieux vivre serait donc possible.
Frantz Fanon. Une vie en révolutions
Publié leQui était vraiment Frantz Fanon, charismatique révolutionnaire martiniquais ? Le journaliste et essayiste américain Adam Shatz signe ici une magistrale biographie qui aborde les multiples facettes de sa personnalité complexe, sans éviter les questions qui fâchent comme celle de sa misogynie supposée ou le fait que « des intellectuels de droite le considèrent comme l’un des pères fondateurs du terrorisme moderne ». Certes, explique Shatz, Fanon « croyait au potentiel régénérateur de la violence. La lutte armée n’était pas simplement une réaction à la violence du colonialisme ; elle était, selon lui, une sorte de thérapie, capable de raviver un sentiment de puissance et de maîtrise de soi ». Mais cette justification psychologique du recours à la violence fait partie de ses multiples contradictions. Rappelant la formule de Peau noire, masques blancs, où Fanon déclare : « Je n’arrive point armé de vérités décisives », Shatz brosse le portrait d’un homme en quête de certitudes, ne cessant de se chercher. Tour à tour tenté par la phénoménologie et l’existentialisme, revendiquant le fait d’être noir tout en rejetant la mystique senghorienne de la négritude, il fut à la fois « bon vivant et ascète, […] intellectuel urbain idéalisant la paysannerie, adversaire de la France profondément nourri de ses traditions révolutionnaires jacobines et, enfin, nomade en quête perpétuelle d’une patrie ». Combattant pour la France libre pendant la Seconde Guerre mondiale, Algérien de cœur auprès du FLN et enterré aux États-Unis, il a été adopté par toutes les terres d’oppression comme soldat acharné de la liberté et de la dignité humaines.
Lire entre les lignes
Publié leIl y a plusieurs livres dans ce magnifique opus qui rassemble une centaine de textes, conférences et entretiens donnés par le philosophe dans des revues, magazines (dont Philosophie magazine) ou colloques. Comme le sous-titre du livre l’indique – Sur les traces de l’esprit européen –, il nous propose d’abord une profonde réflexion sur l’esprit européen, marqué, selon lui, par le geste à la fois matériel et symbolique de la séparation reliante. À l’instar de l’enlèvement par Zeus de la princesse phénicienne Europe, qui se trouve ainsi séparée de sa sœur Asie, l’Europe se distingue tout au long de son histoire, philosophique, religieuse ou politique, par un « arrachement critique » à ses propres origines, une « transformation critique de la tradition », une « séparation émancipatrice » productrice d’une succession de renaissances. « L’identité européenne se confond avec la trajectoire de ses renaissances, tracée par la réappropriation incessante de l’élan qui l’emporte au-delà d’elle-même. »Wismann nous propose ensuite, au travers d’une conversation ininterrompue avec les penseurs – de Kant à Blumemberg en passant par Benjamin ou Cassirer –, une méditation sur la place et le rôle de la culture dans nos vies. Et ici aussi, l’idée de renaissance, au sens d’une quête qui se relance en se différenciant de soi et de l’autre, apparaît comme un fil rouge. Loin du discours ambiant sur la décadence culturelle, le philosophe ne défend pas un patrimoine figé qu’il faudrait recevoir et transmettre dans son autorité incontestable, mais « un condensé d’énergie qui ne demande qu’à renaître ». Enfin, telle la dernière partie, carnet des notes personnelles intitulé « Épures », ce livre peut être lu comme une encyclopédie portative des grandes notions de l’esprit européen dont il propose une série d’esquisses suggestives. Mais le plus précieux dans ce parcours est sans doute l’art unique que conserve tout au long Wismann de faire comprendre des concepts ou des pensées essentielles mais difficiles, en usant d’exemples vivants, concrets et amusants, comme cette obsession de la ponctualité allemande, signe de leur valorisation d’un lien immédiat avec l’absolu ; ou ces blagues drolatiques opposant les personnages de l’Allemand, du Français et de l’Italien qui lui permettent de faire comprendre la profondeur philosophique des stéréotypes et des mythes nationaux.
Arts
Le nouveau film de Ryūsuke Hamaguchi, réalisateur notamment de Drive My Car, propose, sous les dehors d’une fable environnementale de toute beauté…
Le collectif Marthe fait revivre sur scène le travail de la réalisatrice Carole Roussopoulos, dont les documentaires témoignent de l’effervescence…
En présentant de nombreux manuscrits et ouvrages de la Renaissnace, cette exposition à la Bibliothèque nationale de France montre comment le livre…
Comme des grands
Questionnaire de Socrate
De la vida mía, « l’histoire de ma vie ». Dans ce beau livre récemment paru sous ce titre au Mercure de France, le plasticien Miquel…
Cahier central
En 1975, Paul Ricœur donne deux cours à l’Université de Chicago sur l’imagination, notion qui irrigue sa pensée sans qu’il l’ait déjà vraiment…