Le Volume du temps. Tome 1

Une recension de Arthur Dreyfus, publié le

Il est des classiques qu’il paraît impossible de réinventer. Comme Un jour sans fin, film culte où Bill Murray se voit coincé, avec humour mais pour l’éternité, dans une même journée. Pourtant voici Solvej Balle, autrice danoise dont la saga en sept volumes, coiffée du Goncourt nordique, s’apprête à paraître dans vingt pays. Le Volume du temps raconte en effet l’étrange épopée de Tara Selter, une antiquaire partie à Paris pour examiner un ouvrage, et se trouvant bloquée dans une journée automnale : le triste dix-huit novembre. Toutefois la comparaison avec le film s’arrête ici. Car le ton n’est pas à la comédie, mais à une méditation douce-amère sur le passage du temps, entre Prévert et Einstein. Surtout, Tara est mariée dans cette histoire. L’enjeu n’est donc pas de séduire Andie MacDowell, mais de trouver du sens à son amour pour Thomas, qu’elle rejoint vite dans leur domicile du nord de la France. Peut-on continuer à aimer quelqu’un pour qui le temps redémarre à l’identique chaque matin ?

Idée géniale : les chapitres relatent chacun un dix-huit novembre unique et numéroté, permettant à l’autrice d’alterner les registres, passant de l’analyse d’un couple en apparence heureux, mais dont la « conversation est en train de se changer en un simple lien sonore, en un murmure amoureux ne faisant qu’accentuer l’éloignement », au rébus philosophique : « Le vertige ne nous saisit que lorsque le monde nous apparaît tel qu’il est : incohérent, imprévisible et absurde. » Et Tara de se convertir en phénoménologue, si la phénoménologie est bien la conscience du réel par la perception qu’en a le sujet. « Qu’est-ce que j’entends ? s’interroge la narratrice, cachée à l’étage de sa maison. Mon amoureux vidant sa vessie, un homme faisant pipi debout, mon mari qui pisse, un fantôme qui urine ? D’ailleurs, est-ce que j’entends quelque chose ? » Comme si le temps était devenu matière. Sinon un lieu – au détour de cette terrible formule : « J’habite le dix-huit novembre. » Par un poétique tour de force, Le Volume du temps se lit tel un polar : à mesure qu’approche le jour 365, le suspense grandit. La boucle annuelle remettra-t-elle le temps en marche, ou donnera-t-elle raison à Bergson, lorsqu’il écrit : « Notre durée est irréversible. Nous ne saurions en revivre une parcelle, car il faudrait commencer par effacer le souvenir de tout ce qui a suivi » ?

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