L’IA va-t-elle rendre le langage payant ?
C’est la question originale que pose le philosophe spécialiste de la technologie Pascal Chabot dans cette réflexion où il se penche sur l’avenir de la lecture et de l’écriture à l’heure de ChatGPT.
À un ascenseur, on délègue la charge de nous faire monter et descendre. À un avion, le soin de nous emmener loin par la voie des airs. À une calculatrice, la résolution d’opérations mathématiques. Et à une intelligence artificielle (IA) comme ChatGPT, que délègue-t-on ? La réponse est simple : on lui demande d’écrire, ce qui fait d’elle une machine à écrire automatique. À ses débuts, elle était programmée en vue de trouver le mot adéquat pour terminer une phrase. Ce n’était pas une tâche évidente, mais avec suffisamment d’analyses statistiques, il est devenu possible pour une machine de compléter une sentence comme « Il fera beau demain, le soleil va… ». Ensuite, il lui a été demandé de suggérer une suite de mots corrects pour continuer un paragraphe. Là aussi, il s’agissait de s’appuyer sur des modèles de langage et des probabilités de survenue de telle expression dans tel contexte. Et aujourd’hui, grâce à sa puissance de calcul, l’algorithme est devenu capable de répondre à des questions en juxtaposant des termes choisis dans un ordre correct. Et même de raconter des histoires. Si on lui demande d’écrire une suite à la phrase « Le chat va dormir dans le panier du chien », elle en est capable. Les capacités remarquables des IA reposent sur des cartographies dynamiques de champs lexicaux au moyen de vecteurs, de valences [en informatique, c’est le nombre d’éléments distincts employés dans un code pour constituer des combinaisons] et d’interconnexions. Mises au point par des équipes de linguistes, de mathématiciens et d’informaticiens, ces méthodes de « génération » de langage sont des bijoux intellectuels et opérationnels.
Fin de l’écriture, fin de l’histoirE
Le cœur du dispositif est bien l’écriture : il s’agit de choisir les bons mots et de faire se succéder des phrases correctes et non redondantes. Exactement, somme toute, comme ce que je suis en train de faire en écrivant ces lignes. Bien sûr, je le fais différemment, avec conscience et intention. Mais cette conscience et cette intention, inimitables pour la machine, n’en usent pas moins de séquences langagières apprises dans l’enfance dont la structure est connue après des siècles d’études en logique et en linguistique. Et cette structure, elle, est imitable.
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