Pascal Chabot-Laurence Devillers. Robots pour être vrais ?
En matière d’IA, il y a les fantasmes, et il y a la réalité de la recherche. Est-elle capable de penser ou n’est-elle qu’une imitatrice surdouée ? Est-elle encore dépendante de l’homme ou bien l’inverse ? Pour en débattre, deux interlocuteurs de chair et de sang : la spécialiste d’éthique robotique Laurence Devillers et le philosophe Pascal Chabot, qui a récemment signé un livre mettant en scène un robot de conversation.
Laurence Devillers : Le laboratoire du Centre national de la recherche scientifique [CNRS] dans lequel je mène mes recherches s’intéresse aux agents conversationnels, les chatbots, et à la modélisation du langage.
Pascal Chabot : Cela tombe bien… J’ai écrit un livre qui met en scène un chatbot capable de produire un discours philosophique !
L. D. : Cela ne m’a pas échappé. Et le fait que vous vous appeliez Pascal Chabot m’a amusée. Comme si vous étiez destiné à traiter cette question. Mais, rassurez-vous, la perspective d’imaginer des robots-philosophes est encore réservée aux philosophes.
P. C. : Le contraire serait effarant ! Mais sur quoi travaillez-vous dans votre labo ?
« Les robots ne ressentent rien. Il ne s’agit que de simulations »
Laurence Devillers
L. D. : Je travaille sur l’interaction parlée entre humains et machines, avec des robots ou des agents conversationnels comme les chatbots. Dans mon équipe, on cherche à formaliser la dimension affective qui existe dans tout dialogue, ce qu’on appelle l’affective computing. Il s’agit, pour la machine, d’apprendre à détecter le comportement émotionnel de son interlocuteur, en partant des traits de son visage, des inflexions de sa voix, etc. Ensuite, il faut intégrer ces « informations » paralinguistiques à celles que le robot déchiffre dans le discours. Enfin, il faut adapter la réponse de la machine. J’ai commencé à travailler sur des centres d’appels avec une voix artificielle, comme dans le film Her [de Spike Jonze, 2013], sauf que la mienne proposait des billets de train sur une borne SNCF plutôt qu’une présence sentimentale. Et je me suis aperçue que les gens s’énervent vite face à la machine. Quand ils crient : « Mais ça ne marche pas votre système ! », ils ne supportent pas de s’entendre dire sur un ton mielleux : « Je ne vous ai pas compris, pouvez-vous reformuler votre demande ? » Pour rendre plus naturelle l’interaction avec la machine, nous tentons de construire le profil de son interlocuteur en détectant des émotions – colère, joie, peur, tristesse –, ce qui permet à la machine d’adapter sa réponse. Il est également intéressant de travailler avec des robots. On interagit plus facilement avec des robots incarnés, même s’ils sont artificiels. C’est particulièrement vrai pour les outils que j’ai développés pour les personnes âgées en établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes [Ehpad] en vue de stimuler les capacités cognitives et émotionnelles de malades d’Alzheimer ou d’aphasiques. Les robots aident les personnes à reconnaître des sons, des mots, des émotions. Mais je ne prétends pas, comme le soutient Ray Kurzweil, que nous aurons bientôt des robots émotionnels : les robots ne ressentent rien, n’ont pas d’émotions ni d’intentions. Il s’agit de simulations, même si je parviens à produire un robot « bienveillant », ce n’est que de la modélisation.
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