Matthieu Barbin, alias Sara Forever-Olivia Gazalé : légèrement graves
Finaliste de la deuxième saison de l’émission Drag Race France, Matthieu Barbin cultive la bonne humeur corrosive comme une seconde nature, il en a même fait son métier sous l’identité de la drag queen Sara Forever. Il rencontre la philosophe Olivia Gazalé, qui vient de publier Le Paradoxe du rire. Ensemble, ils cernent comment naît cette atmosphère incertaine, qui n’exclut pas les sujets graves… au contraire !
Olivia Gazalé : Je dois commencer par avouer qu’hier, j’étais de mauvaise humeur. Une nouvelle contrariante m’avait mis un voile noir devant les yeux, je voyais tout à travers ce filtre négatif. Puis j’ai regardé la finale de Drag Race pour préparer ce dialogue, et vous m’avez mise de bonne humeur, Matthieu !
Matthieu Barbin : Ce qui me met de bonne humeur, c’est d’arriver à me moquer de moi-même, à avoir un regard critique sur ce que je peux être ou faire, et à débloquer par l’humour des éléments constitutifs de ma personnalité. C’est thérapeutique ! Ceci dit, cela ne passe pas forcément par l’exercice du drag. Cette performance qui joue sur les archétypes de genre entretient d’ailleurs une relation complexe à l’humour. Il est certes salvateur, mais, en même temps, il s’agit de se réapproprier des traumas.
O. G. : Vous faites le rapprochement entre humeur, humour et autodérision. Il se trouve qu’humeur et humour ont la même racine latine – humus, la terre. De fait, l’humour est inséparable de l’autodérision, et faire preuve d’autodérision, ne pas se prendre soi-même trop au sérieux, c’est justement garder les pieds sur terre. Jusqu’en 1932, le mot « humour » n’existait pas dans la langue française. L’Académie ne reconnaissait que le mot « humeur », un terme qui désignait le tempérament individuel. Fidèle à la « théorie des humeurs » d’Hippocrate, la médecine européenne a longtemps considéré que les « humeurs mélancoliques » étaient des fluides retenus par la rate et que le rire permettait de les chasser. « Se désopiler » signifiait littéralement désobstruer les canaux internes, évacuer la « mauvaise humeur ». Bien sûr, cette théorie a été abandonnée depuis longtemps, mais ce qui demeure vrai, c’est que le rire provoque chimiquement le reflux de la « mauvaise humeur » grâce à la libération dans le cerveau d’hormones du bien-être – sérotonine, dopamine, endorphines… Le rire est un puissant anxiolytique, c’est une armure psychique contre la peur, l’angoisse et le chagrin.
M. B. : Notre langue témoigne de cet héritage médical, lié aux fluides : d’une personne dont on n’aime pas l’humour, la première chose qu’on dit, c’est qu’on ne peut « pas la sentir » !
“Pour que s’établisse une connivence entre les protagonistes, il faut que soit tacitement conclu un “pacte humoristique” d’innocuité ou de non-agression”
O. G. : C’est vrai que la relation d’humour est une affaire impalpable, de l’ordre du « feeling ». Pour que s’établisse une connivence entre les protagonistes, il faut que soit tacitement conclu un « pacte humoristique » d’innocuité ou de non-agression. Les termes de ce pacte concernent moins l’énoncé comique lui-même que l’énonciation. Comment c’est dit : dans quel contexte ? Dans quel état d’esprit ? Au premier ou au second degré ? Qui s’exprime ? Qui est ciblé ? C’est la façon dont se combinent tous ces paramètres qui font qu’un même contenu peut être perçu comme humoristique – et inoffensif – dans un certain contexte et comme sarcastique – et offensif – dans un autre.
M. B. : La question du contrat est indéniable. Mais j’irais plus loin. Il existe une performativité du rire. C’est-à-dire que je donne à rire, un interlocuteur rit, et il y a comme un lien qui se crée. On rit de nous-mêmes ensemble. Ce lien peut être faussé, car, lorsqu’on éclate de rire, a-t-on véritablement trouvé la blague drôle ? Ne vient-elle pas plutôt toucher une sensibilité que l’on masque sous un éclat de rire ? On pratique dans le drag ce qu’on appelle le reading. Il faut parvenir à « lire » notre interlocuteur pour toucher juste, à lancer une pique – le shade – qui vient de manière caustique pointer les failles d’une personne, ses complexes et ses blessures, mais sans méchanceté. Avec bienveillance car, comme le dit Nicky Doll qui anime l’émission, on ne dit pas du mal des autres dans leur dos… on leur dit en face ! Le drag joue constamment sur cette frontière entre l’incongruité du rire et sa nécessaire innocuité, que vous évoquez dans le propos introductif de votre livre, Olivia. La frontière reste très ténue.
Finaliste de la deuxième saison de l’émission Drag Race France, Matthieu Barbin cultive la bonne humeur corrosive comme une seconde nature, il…
L’émission diffusée sur Amazon Prime Video LOL. Qui rit, sort ! séduit le public. Elle impose à dix humoristes regroupés dans une pièce de ne…
Elle allume les politiques dans le 7/9 de France Inter et en conclusion de L’Émission politique de France 2, et passe l’actualité au tamis de l’humour dans son émission quotidienne sur la radio publique, Par Jupiter ! Charline…
Le comique voyage de façon imprévisible. Il y a quelques années, j’emmène mon fils âgé de 10 ans voir un film des Marx Brothers : seuls les quadragénaires hurlent de rire, sous l’œil perplexe des enfants. Deux ans plus tard, je suis…
« Un peu d’humour, beaucoup d’horreur ». C’est sous l’égide de cette maxime que le théâtre du Grand Guignol a ouvert ses portes, rue Chaptal à…
Quand un humoriste, Jos Houben, et un philosophe, Christophe Schaeffer, dialoguent, c’est pour parler du rire, bien sûr, de ce qui, en lui,…
Olivier Mongin explore inlassablement une société postmoderne où le rire est de rigueur. Un pied en France, l’autre en Algérie, Fellag entrechoque les langues pour mieux les réunir. Entre humour et gravité, ils démontent les ressorts de…
En partenariat avec les Éditions Allary, Philosophie magazine propose chaque jour un extrait du Plaidoyer pour les animaux de Matthieu Ricard.