Kollontaï. Défaire la famille, refaire l’amour
Une recension de Clara Degiovanni, publié le« Il n’y a pas de pays, pas de peuple […] où la question des rapports entre les sexes n’ait pris un caractère de plus en plus brûlant et douloureux », écrit Alexandra Kollontaï, diagnostiquant une « crise sexuelle aiguë », ponctuée de « drames sexuels ». Cette phrase, qui pourrait avoir été prononcée aujourd’hui en France, après les récents scandales qui agitent le cinéma français comme la société dans son ensemble, a été formulée en plein cœur de la Russie soviétique par cette militante communiste née en 1872 à Saint-Pétersbourg. En terre bolchevique et au milieu de camarades de lutte masculins, celle qui était surnommée la « Jaurès en jupon », échafaudait un projet de société d’une troublante modernité : la « réinvention des formes de l’amour et de la sexualité ». Dans cet essai palpitant qui entremêle éléments biographiques et extraits de ses livres et de ses discours, les deux auteurs – l’une spécialiste du monde slave et l’autre philosophe politique – retracent ce combat ardent, jalonné d’embûches et de déceptions, qui s’achèvera par une carrière de diplomate, loin des terres russes où elle a œuvré jusqu’en 1924.
Être une femme, vouloir réinventer l’amour : cela suffit pour éveiller les soupçons, à commencer par ceux de Lénine lui-même. Comment peut-on être communiste et se préoccuper d’histoires de sexualité ? En quoi cela concerne-t-il la lutte ? Pour le leader bolchevique, ces conceptions « philistines » ne peuvent être le fruit que d’une bourgeoisie oisive aux mœurs dissolues. Parmi les idées qui heurtent le plus : la théorie du « verre d’eau » attribuée à Kollontaï, selon laquelle avoir un rapport sexuel « devrait être aussi simple et sans plus d’importance que de boire un verre d’eau ». Autrement dit : il ne faudrait pas culpabiliser d’entretenir des rapports sexuels et amoureux avec plusieurs personnes. Cet « amour multiforme et multicorde » est bien l’ancêtre communiste de ce que l’on appelle désormais le « polyamour ».
En réponses aux critiques, celle qui a été la première femme à siéger au gouvernement soviétique rappelle sans relâche que repenser l’amour, et plus largement la forme « famille », n’a rien d’une lubie bourgeoise. Il ne s’agit pas seulement de libérer les mœurs mais de répondre à la souffrance des ouvrières, qui sont condamnées à endurer ce qu’elle appelle déjà la « triple charge » de travailleuse, de mère et de femme. Kollontaï entretient par ailleurs un rapport critique avec l’« amour libre », pratiqué dans un monde capitaliste. Dans une société compétitrice et marquée par la réduction des périodes de temps libre, l’individu souffre d’une « impotence amoureuse », qui l’empêche de cultiver des relations profondes avec ses semblables. Loin du libertinage bourgeois fustigé par Lénine, l’amour qu’elle appelle de ses vœux est une forme de camaraderie érotique volubile, délestée du désir corrosif et possessif.
Elle plaide à ce titre pour l’abolition du mariage monogame, véhiculant le sentiment « si profondément ancré, du droit sur le corps, mais aussi sur l’âme du partenaire ». Le vernis romantique de cet idéal bourgeois, qui prône la fusion entre deux partenaires, est pour elle à l’origine de grandes souffrances, y compris dans sa vie personnelle. « II fallait que je m’en aille, il fallait que je rompe avec l’homme que j’avais choisi, sinon […] j’allais m’exposer au danger de perdre mon identité », écrit Kollontaï, dans ses mémoires, Autobiographie d’une femme sexuellement émancipée, récemment réédités aux Milles et Une Nuits (120 p., 6 €). Œuvrant pour libérer les amours en général, autant que les siennes en particulier, elle illustre par l’exemple cette idée profondément moderne selon laquelle le privé est politique.
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