Simone Weil : une révoltée en quête d’absolu
Faisant de l’enracinement un besoin existentiel indispensable, la philosophe revendique un engagement courageux dans le monde et pour les autres… prête à prendre tous les risques.
Sur l’une des nombreuses photos que l’on a de Simone Weil, la philosophe ne porte pas pour une fois ses lunettes rondes. Elle est vêtue d’un ensemble militaire dans lequel elle semble flotter, presque disparaître – heureusement qu’une ceinture maintient veste et pantalon sur les hanches. Son regard décidé tranche toutefois avec son apparente fragilité physique. Un souffle de vent pourrait l’emporter, mais son sourire demeurerait indéfectible, ses yeux braqués vers un horizon qu’elle voudrait deviner radieux. La photo a été prise en Espagne en 1936, alors que Simone Weil s’est engagée auprès des Républicains pour contrer le putsch franquiste. Beaucoup de Weil tient dans ce cliché : l’engagement farouche, la présence au monde tranquille, en même temps qu’une vulnérabilité, une gaucherie même, qui la rendent aussi fascinante que touchante – deux adjectifs qu’on peut rarement accoler ensemble à un philosophe.
La courte vie de Simone Weil – elle meurt à 34 ans – a été marquée à la fois par l’envie de se jeter à corps perdu dans les événements de ce début de XXe siècle, quitte à mettre en danger sa santé, et par le désir d’un certain retrait, d’un dessaisissement qui la poussera de l’ascèse jusqu’à une mort précoce. Cette tension entre engagement, voire enracinement, et décréation, pour reprendre les concepts qu’elle a investis, est ce qui donne toute son originalité à une pensée que l’on peut difficilement rattacher à un courant. De la même génération que Sartre, Camus, Merleau-Ponty ou encore Ricœur, elle a tracé son propre chemin en se plongeant dans la philosophie ancienne plutôt que dans la phénoménologie allemande, et en privilégiant une existence aux prises avec le monde plutôt que les déclarations d’intention existentialistes.
« Ne pas s’indigner, mais comprendre »
À peine étudiante, Weil ne jure déjà que par des idéaux révolutionnaires, tout en faisant preuve d’une empathie extrême pour toutes les victimes d’oppression et d’injustice. Simone de Beauvoir s’en souvient dans ses Mémoires d’une jeune fille rangée et rapporte que la jeune femme aurait fondu en larmes en apprenant qu’une famine terrible sévissait alors en Chine. Beauvoir éprouve de la curiosité pour « ce cœur capable de battre à travers l’univers entier ». Mais leur rencontre tourne court et témoigne déjà de l’intransigeance de celle qui ne peut supporter que l’on souffre inutilement. Quand Weil défend l’idée d’un renversement qui permettrait de nourrir décemment toute l’humanité, Beauvoir répond que l’urgence est plutôt de trouver un sens à sa vie. « On voit bien que vous n’avez jamais eu faim », lui rétorque la première. Dans La Force de l’âge, Beauvoir se souvient à nouveau de « cette étrangère » dont le jusqu’au-boutisme semble la mettre mal à l’aise : « Elle était professeur au Puy ; on racontait qu’elle habitait dans une auberge de rouliers et que le premier jour du mois elle déposait sur la table le montant de son traitement : chacun pouvait se servir. » Peut-être en songeant à une occasion manquée, elle poursuit : « Son intelligence, son ascétisme, son extrémisme, son courage m’inspiraient de l’admiration et je savais que, m’eût-elle connue, elle n’en eût pas éprouvé pour moi. Je ne pouvais pas l’annexer à mon univers et je me sentais vaguement menacée. Nous vivions à si grande distance l’une de l’autre que je ne me tourmentai tout de même pas beaucoup. »
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Un grand livre résumé en une phrase.