Simone Weil pour repenser la mondialisation

Michel Lussault, propos recueillis par Martin Duru publié le 3 min

Selon le géographe Michel Lussault, Simone Weil a eu cette intuition géniale que l’ancrage dans un territoire n’est pas uniquement fonctionnel : il permet à l’individu de se forger en être parlant et agissant, et de trouver ses marques au sein d’une mobilité incessante.

« Dans L’Enracinement, Simone Weil évoque un déracinement “qu’on pourrait nommer géographique, c’est-à-dire par rapport aux collectivités qui correspondent à des territoires”. “Le sens même de ces collectivités a presque disparu”, ajoute-t-elle, avant de donner des exemples de lieux d’enracinement avec lesquels le lien s’effrite : “Le village, la ville, la contrée, la province, la région, toutes les unités géographiques plus petites que la nation, ont presque cessé de compter.” Ces lignes, et de manière plus générale le couple conceptuel enracinement/déracinement, donnent matière à penser. Pour moi, la géographie ne se réduit pas à la topographie, à l’étude de la localisation des faits sur une étendue. Je la définis beaucoup plus comme une anthropologie de l’habitation humaine. La problématique centrale de la géographie qui m’intéresse est celle des relations que les individus nouent avec leurs espaces de vie. Nous nous installons dans des lieux dont nous héritons, et qu’en même temps nous construisons, nous modifions – nous sommes donc à la fois des “receveurs” et des bâtisseurs. Mais toujours, l’homme a un besoin fondamental de s’ancrer dans un espace, de déployer son existence à partir d’un lieu, d’un habitat d’origine. L’intuition géniale de Simone Weil est de dire que l’enracinement dans un territoire est une condition de tenue de l’être humain – s’il n’a pas cet ancrage dans un espace qui n’est pas seulement fonctionnel, mais également culturel et spirituel, au sein duquel il se constitue en tant qu’être parlant et agissant, il n’a plus d’étai et s’effondre.

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