La « slow-gouvernance »
À contre-courant des logiques d’accélération propres à l’économie et aux médias, les dirigeants européens semblent décidés à ralentir, comme s’ils souhaitaient figer le temps. Mais vouloir arrêter le cours de l’Histoire, est-ce la solution pour se prémunir du chaos et de la crise ?
Jusqu’à une époque très récente, on a considéré que la principale vertu de l’homme politique était d’accélérer le mouvement. La vie sociale est alourdie par de multiples forces de ralentissement : traditions, héritages, solidarités persistantes, conservatismes, habitudes. Le rôle du politique consiste à mettre ce corps inerte en mouvement conformément à sa volonté et au bien commun. Pour réformer et a fortiori pour révolutionner, il faut exacerber le rythme coutumier des choses. Cette mission fondamentale sert d’ailleurs les intérêts du dirigeant. Elle lui offre le prestige indispensable à son maintien au pouvoir. Comme l’écrit Machiavel (1469-1527) dans Le Prince, au début du XVIe siècle, « il n’est rien qui confère autant d’estime à un prince que les grandes entreprises, et aussi de donner de soi des exemples exceptionnels » – ce qui suppose ruptures et intensifications temporelles. Pour le philosophe, le dirigeant ne doit pas être regardé comme le sage garant de la stabilité, mais comme le capitaine d’un vaisseau dans la tempête. Aussi, toujours selon Machiavel, « un prince ne doit avoir d’autre objet ni d’autre pensée, ni choisir aucun autre métier, hors de la guerre ». Même en période calme, il doit anticiper, surprendre, accroître la cadence.