Bernie Sanders : sois mème comme un autre

Tout le monde attendait l’investiture de Joe Biden. Mais personne ne s’attendait à voir Bernie Sanders devenir la star de l’Inauguration day. Il n’a fallu qu’une journée pour que la photo du candidat aux primaires démocrates assis sur sa chaise pliante, bras croisés et masque sur le nez, devienne un mème viral.

• Le terme de « meme » a été proposé pour la première fois par le biologiste et spécialiste de la théorie de l’évolution Richard Dawkins dans son ouvrage Le Gène égoïste (1976). Ce néologisme, créé à partir de « gène » et de « mimétisme », désigne un élément culturel reconnaissable, reproduit et transmis par l’imitation du comportement d’un individu. Dans le cas qui nous occupe, c’est l’impassibilité de Bernie Sanders face à la cérémonie d’investiture qui est reproduite à l’envi. La silhouette est découpée, puis insérée sur une image célèbre ou flanquée d’une légende humoristique : un « Bernie » renfrogné s’invite au baptême de Simba du Roi Lion, sur le trône de fer de Game of Thrones ou même entre Platon et Aristote dans L’École d’Athènes de Raphaël.
• Les mèmes sont ce qu’on appelle des « réplicateurs » : ils ne se multiplient pas par transmission héréditaire, mais par leur capacité à être imités. Leur survie est donc bâtie sur leur propension à provoquer un comportement imitable par autrui. Le monde du mème est donc hautement sélectif, et repose sur des règles de propagation qui lui sont propres. L’une d’elle est la viralité : une fois franchie une masse critique d’utilisateurs, un mème se diffuse par lui-même et devient indépendant des personnes qui l’échangent.
• Le succès de ce mème bien au-delà des frontières des États-Unis s’explique peut-être par la pertinence de l’attitude qu’il met en scène. Après des mois d’incertitude et de crises successives, n’avons-nous pas envie de descendre du manège et de nous asseoir dans une chaise pliante, nous aussi, en attendant que ça se termine ? Mais son attitude exprime plus qu’un simple ras-le-bol, et s’apparente peut-être à une forme de stoïcisme. Dans son Manuel, le philosophe stoïcien Épictète distingue les choses qui ne dépendent pas de nous, et les choses sur lesquelles nous avons un pouvoir d’action. Dans la première catégorie, on trouve bien entendu la météo glaciale du mois de janvier, la pandémie et les jeux de pouvoir politiques. Dans la seconde, la manière dont nous accueillons ces éléments externes et les laissons plus ou moins nous affecter. Bernie Sanders les accueille avec indifférence, mais paré de la tête aux pieds : manteau d’hiver sur le dos, masque devant le visage et moufles aux mains. Pour supporter l’investiture et la crise actuelle, mieux vaut se préparer à attendre longtemps.
• Il y a quelque chose de profondément mémétique dans cette attitude imperturbable. En effet, le principe du mème sur Internet est justement de pointer des constantes et des archétypes de comportements humains en faisant varier leur contexte d’énonciation. Un mème devient ainsi viral lorsqu’on peut s’identifier aisément à ce qu’il décrit (il est alors « relatable », pour les globalisés). Si le mème de Bernie Sanders a eu autant de succès, c’est donc qu’il est l’expression parfaite du stoïcisme blasé que l’année passée nous a tous appris, malgré nous, à adopter, et que nous allons sans doute devoir cultiver pour supporter l’année qui s’annonce.