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La beauté singulière des haies, “beaucoup plus subversives qu’on l’imagine”

Laurence Devillairs publié le 22 février 2024 4 min

La philosophe Laurence Devillairs a lu l’Éloge de la haie. Pour un désordre végétal, de Sonia Feertchak, que vient de faire paraître Philosophie magazine Éditeur. Et elle a compris pourquoi elle aime ces « édifices naturels » ; c’est qu’ils nous ouvrent à l’idée que ce n’est pas l’art qui imite la nature mais la nature qui est transformée par l’art.

« La haie, c’est la vie » et « le réenchantement du monde » : voici sa recension enthousiaste, nourrie de son rapport intime à un trésor écologique peu considéré, donc de plus en plus menacé.


 

Je me souviens d’un été en Angleterre, dans les Cotswolds. Je me sentais totalement dépaysée, et pas uniquement parce que le volant de ma voiture était à droite, et que je serrais ma gauche sur ces routes étroites de campagne. D’où venait ce sentiment d’étrangeté ? Des haies. Hautes, larges, fournies, nombreuses. Elle dressaient de véritables enceintes autour des champs ; elles architecturaient la nature tout en en brouillant les contours. Elles conféraient un air de profusion à tout le paysage. Elles ajoutaient de la nature à la nature. Je me suis fait la réflexion que mes souvenirs d’enfance étaient emplis de haies, et qu’elles avaient disparu.

➤ À lire aussi : le mouton, le coccinelle et le lichen, un extrait d’Éloge de la haie

La tristesse particulière de notre époque est précisément de dresser la liste de ce qui a disparu ou menace de disparaître. Cette litanie de l’effondrement désespère : disparition annoncée des guépards, du vison, de l’ours brun, de la neige, des oiseaux… Mais le livre de Sonia Feertchak, Éloge de la haie. Pour un désordre végétal (2024) réconforte : il montre que l’on peut réintroduire ce qui a été supprimé. À commencer par les haies. Ces espaces végétaux représentent l’une des raisons de la récente colère du monde paysan : 14 normes en réglementeraient la gestion. Sans doute est-ce une dizaine de trop, mais si la bureaucratie n’équivaut pas à l’action, la colère non plus. Les haies sont essentielles à la biodiversité, elles fournissent un habitat aux oiseaux, aux rongeurs et aux insectes, elles abritent fleurs et fruits, favorisent l’enrichissement des sols, aident à la régulation des inondations, fournissent ombre et abri aux troupeaux… 

Bref, la haie, c’est la vie. Et c’est bien la vie qu’il faut non plus seulement protéger mais réintroduire. Notre monde s’est appauvri ; la Terre s’étiole tout en étant de plus en plus encombrée. Les haies apportent de la vie, et de manière toute particulière. À première vue, ce n’est ni beau ni laid, une haie. De la broussaille, presque impossible à définir : des feuilles, des branches, dans un fouillis qu’on aurait envie de tailler. La haie n’a pas de forme. On parle de « mur végétal », mais c’est une manière de suggérer de la ligne droite là où il n’y en a pas. Tout dépasse, tout déborde dans une haie. C’est ce registre singulier de la nature que le livre de Sonia Feertchak nous apprend à voir d’un autre œil, et à apprécier. 

C’est beaucoup plus subversif qu’on l’imagine, une haie : elle ne renvoie pas à une nature profondément « artialisée », métamorphosée par l’homme, mais elle constitue bien plutôt une revanche de ce qui a été cultivé sur la culture, au sens à la fois agricole et culturel. Elle est le surgissement de la nature dans ce qu’elle a d’indompté. Le concept d’artialisation, mis en avant par le philosophe Alain Roger et emprunté à la langue de Montaigne, signifie que la nature n’est pas une puissance primitive, originaire et porteuse d’authenticité mais qu’elle est le produit de notre regard : du pays au paysage, il y a l’élaboration d’un art (Court Traité du paysage, Gallimard, 1997, rééd. 2017). Ce n’est donc pas l’art qui imite la nature ; c’est la nature qui est transformée par l’art.

Rien n’est « naturel », c’est-à-dire spontané ou brut ; tout est transformé par la main de l’homme, ou plutôt par son regard, culturellement informé. La nature, c’est la culture sous une autre forme. Sauf en ce qui concerne les haies : elles semblent ne pas obéir à notre besoin d’agencer la nature, de la lisser, pour faire joli. Elles sont l’opposé du jardin. Sonia Feertchak met ainsi au jour une catégorie écologique et culturelle spécifique : la haie n’a pas vraiment de forme, pas réellement de limites, est-elle mauvaise herbe ou « miniforêt » ? borde-t-elle l’espace ou l’interdit-elle, enceinte qui soustrait la nature au regard comme le sont les sanctuaires dans les temples ? 

« Dans la haie, la question de la nature de la “nature ”, sans jeu de mots, est un inextricable sujet », souligne l’auteur. La haie dessine un chemin entre nature et culture, sans antagonisme, « toujours “entre” – entre les écosystèmes qu’elle borde, et entre notions et concepts –, elle est dotée de cette qualité de ne pas relever d’un enfermement mais d’une ouverture ». La haie, telle que la décrit Sonia Feertchak, nous encourage à regarder le paysage comme « une chose lointaine et étrangère, à l’écart et indifférente, et s’accomplissant tout en elle-même », selon les mots du poète Rilke : la nature ne nous appartient pas, sa beauté non plus. C’est cela le sauvage, ce qui, dans son désordre, n’obéit à aucune de nos attentes. 

Plus encore, le sauvage modifie notre rapport à la mort. L’ouvrage de Sonia Feertchak est bien un ouvrage de philosophie, en ce qu’il pose les grandes questions, surtout celles qui effraient : « En me mettant juste sous le nez des cycles de vie complets et des cruautés autres qu’humaines, la fréquentation des haies me fait regarder la mort autrement. » Ce désordre végétal, ni broussaille ni jardin, toute cette vie et cette énergie inaperçues, modestes et impatientes, montrent qu’on ne doit pas s’inquiéter pour la vie ; elle est certes fragile mais insistante. Exotique dans sa proximité, sauvage dans sa beauté. La haie, c’est le réenchantement du monde.

 

Éloge de la haie. Pour un désordre végétal, de Sonia Feertchak, vient de paraître chez Philosophie magazine Éditeur. 160 p., 19,50€, disponible ici.

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