Marie Duru-Bellat : “L’égalité des chances n’est pas l’égalité réelle”

Votre dernier ouvrage, L’école peut-elle sauver la démocratie ? (Seuil), coécrit avec François Dubet, dresse un bilan de la massification scolaire, notamment dans le secondaire, à partir des années 1960. Quel lien faites-vous entre cette massification et le phénomène du décrochage scolaire ?

Marie Duru-Bellat : Il y a un lien évident : c’est parce que l’on s’efforce de garder au sein de l’institution les élèves, tous les élèves, y compris ceux qui se sentent humiliés par leur échec répété ou ceux qui ne se reconnaissent pas dans le système scolaire et son mode d’évaluation étroit des compétences, qu’il peut y avoir des phénomènes de décrochage. Le décrochage, au sens où un élève arrête purement et simplement d’aller en classe, est relativement rare, même s’il n’est pas négligeable (le taux de « sortants précoces », c’est-à-dire de jeunes de 18 à 24 ans n’ayant pas de diplôme, ou bien seulement le brevet, était de 8,8 % en 2016 – et il tend à diminuer). Cette sortie du système scolaire concerne surtout le lycée, en particulier les filières technologiques, dans lesquelles bon nombre d’élèves se retrouvent, comme par défaut, à se former à des professions qu’ils n’ont pas choisies, et qui, par ailleurs, sont souvent dévalorisées socialement. Jusqu’au collège, l’institution garde un certain pouvoir de contrôle sur la présence des élèves. Mais cela n’empêche pas un véritable décrochage de l’intérieur : certains élèves accumulent, depuis le début de leur scolarité, des difficultés, au point de ne plus pouvoir suivre du tout. Cet effet cumulatif est, là encore, un effet indirect de la massification : tous les élèves doivent suivre le rythme de l’école, celui de la progression d’une classe à l’autre, y compris lorsqu’ils n’ont pas acquis pour X ou Y raison ce qu’ils étaient censés apprendre.