Voltaire à Téhéran

“Inimitié à l’égard de Dieu” (mohareb, محارب, en farsi) et “corruption sur terre” (fasād, فساد, ou mofsed-e-filarz, مفسد فی الارض) : des chefs d’accusation et des expressions pompeuses qui s’adressent à des manifestants en réalité “coupables” de quelques dégradations sur la voie publique, et plus rarement d’agressions contre les forces de sécurité du régime iranien… Deux jeunes hommes ont pourtant été exécutés en Iran ces derniers jours, pour ces motifs-là.

« Tout absurdes qu’ils sonnent, ces chefs d’accusation font franchir au régime iranien un pas supplémentaire dans la répression. Depuis mi-décembre, deux jeunes hommes ont été condamnés à la peine de mort et exécutés, dont l’un publiquement, avec une vidéo de pendaison qui a largement circulé sur les réseaux sociaux. Selon Amnesty International, entre 20 et 30 personnes risquent d’encourir le même sort, suite aux manifestations qui soulèvent les Iraniens contre un régime de terreur depuis la mort de Mahsa Amini le 16 septembre dernier.

Dans l’article intitulé “Persécution” de son Dictionnaire philosophique (1764), Voltaire fait un constat intéressant : l’auteur de châtiments injustes ne les exécute pas d’abord par sadisme ou par démonstration personnelle de force, mais pour montrer son allégeance à un pouvoir supérieur qui, lui, n’a pas besoin de se salir directement les mains. La surenchère dans la cruauté du sous-fifre est même une façon de chercher la louange, comme un aveu de soumission totale.

Voltaire fait tenir au persécuteur le discours suivant : “Impudent, tu adores un Dieu, tu prêches la vertu, et tu la pratiques ; tu as servi les hommes, et tu les as consolés […] ; mais j’ai découvert que tu me méprises et que tu n’as jamais lu mon livre de controverse : tu sais que je suis un fripon […] ; j’irai donc chez le confesseur du ministre ou chez le podestat. Je leur remontrerai en penchant le cou, et en tordant la bouche, que tu as une opinion erronée sur les cellules où furent renfermés (sic) les Septante ; que tu parlas même il y a dix ans d’une manière peu respectueuse du chien de Tobie, lequel tu soutenais être un barbet, tandis que je prouvais que c’était un lévrier. Je te dénoncerai comme l’ennemi de Dieu et des hommes.” Persécution rime donc avec servilité, soumission, voire faiblesse, selon Voltaire.

Aussi la cruauté du régime iranien s’explique-t-elle peut-être par sa structure reposant sur un système complexe d’allégeances et de services rendus qui permet aux différents pouvoirs, religieux, judiciaire et politique, de se garder les uns les autres en tenaille – une autre forme de corruption. Selon Amnesty International, un haut gradé de la police a demandé que le procès d’un manifestant soit tenu “dans les plus brefs délais” et que sa condamnation à mort soit exécutée en public, en “geste de réconfort envers les forces de sécurité publique”. Une demande qui a été suivie par une déclaration du procureur général lui-même, selon laquelle le procès serait bel et bien accéléré. Un peu comme si notre ministre de la Justice réclamait publiquement à des magistrats de se concentrer sur telle ou telle procédure pour satisfaire des forces de l’ordre outragées.

Ces exécutions paraissent être le signe d’un durcissement du régime. Mais si l’on suit Voltaire, cette surenchère dans l’application de la peine de mort pourrait aussi signaler des aveux de faiblesse interne. Noël approchant, il est toujours permis d’espérer… »

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