Épicure aux enfers
Une recension de Martin Duru, publié leLe voyage dans le monde souterrain a commencé. Flanqué de son guide Virgile, Dante pénètre d’abord les Limbes, où résident les âmes privées de salut. Là, il croise les enfants non baptisés mais aussi d’illustres figures, parmi lesquelles des philosophes réunis en assemblée. Aristote, Platon, Sénèque, Averroès… Ils sont tous là, sauf un. Ce n’est que plus tard, dans le cercle des Enfers réservé aux hérétiques, que le poète de la Divine Comédie rencontre Épicure et ses disciples. Pourquoi cette exception, pourquoi cette damnation ? Aurélien Robert mène l’enquête.
Si Dante est si sévère avec Épicure, c’est qu’à la fin du Moyen Âge, le penseur grec est couramment perçu comme un inqualifiable impie et dépravé. L’anathème, en réalité, remonte loin, et c’est toute cette histoire que l’étude jalonne : celle de la réception et de la déformation de l’épicurisme. Très tôt, parce qu’il fait du plaisir le principe de la vie heureuse, Épicure est croqué en jouisseur invétéré, alors qu’il prône un mode d’existence plutôt austère. À cette charge le christianisme est venu ajouter l’accusation en hérésie, au motif qu’Épicure nie toute providence divine et considère que l’âme ne survit pas après la mort. Dans ses sermons, Augustin tempête contre les épicuriens, ces « misérables qui [corrompent] la pureté des mœurs », un credo qui sera repris par les théologiens et les prédicateurs médiévaux. L’épicurien devient un personnage conceptuel qui sert de repoussoir, un « épouvantail », tandis que, dans la culture populaire, on intitule des chansons à boire « Gloire des boissons et d’Épicure »…
Un peu caricatural, ce Moyen Âge ? Érudit sans être écrasant, l’ouvrage nuance fortement le trait. Car à cette période, Épicure est aussi lu de près. Des auteurs comme Pierre Abélard (1079-1142) ou Jean de Salisbury (1120-1180) vont même jusqu’à le réhabiliter, estimant que son éthique tournée vers la tranquillité de l’âme est compatible avec la pensée chrétienne. Parallèlement, des médecins italiens discutent la conception que se fait Épicure de la sexualité, jugeant à raison que le philosophe l’a exagérément dépréciée. Prude, le dépravé !
Au final, deux Épicure ont bien cohabité au Moyen Âge : l’Épicure populaire, honni ou raillé, et le vrai Épicure, étudié par des lettrés de toute l’Europe. Ce vrai Épicure, « c’est bien le Moyen Âge qui l’a sorti des enfers ». Quant au cliché de l’épicurien noceur, chantre des plaisirs de la chère, il a encore la vie dure – sauf que nous, nous ne le vouons plus au bûcher.
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L’ouvrage > “L’Essence du christianisme” (1841)