Forme et objet. Un traité des choses

Une recension de Martin Duru, publié le

On la croyait morte et enterrée. Has-been, obsolète, voire suspecte. Qui ça ? La métaphysique, démise de son piédestal par les structuralistes des années 1960-1970 et par Jacques Derrida. Or il se pourrait bien que la vieille idole connaisse une nouvelle aurore. Aujourd’hui, en France, de jeunes penseurs se frottent à la métaphysique, plus précisément à l’un de ses domaines, l’ontologie, soit la réflexion fondamentale sur la nature de ce qui est.

Normalien à peine trentenaire, Tristan Garcia publie un ouvrage épais, à l’intitulé guère funky: Forme et Objet. Un traité des choses déstabilisant : cessons de rapporter les choses à la subjectivité, à la conscience que nous en avons ; considérons-les en tant que telles, hors de nous. Il en résulte un exercice de philo-fiction, à vocation ontologique ou formelle : l’auteur imagine un « monde plat », uniquement constitué de choses isolées, ayant toutes la même valeur. « N’importe quoi est une chose » – un mot, une idée, une chimère, un homme –, mais une chose « n’est pas n’importe quoi ». Ce monde plat, contrée dépouillée où tout reste inchangé, est le « plan de référence » ou la « condition de possibilité » de l’univers concret, rempli d’objets qui, eux, connaissent des variations d’intensité en nouant des rapports avec ce qui les entoure. Abstrait, tout ceci ? Certes. Mais c’est sur cette base que Garcia déploie sa propre conception du temps, du vivant, de l’art, de l’histoire, des valeurs morales… On mesure l’ambition démesurée du livre, dont l’une des idées majeures est le rejet obstiné de la « compacité » : les choses ne sont jamais en soi, fermées, mais toujours définies et imbriquées dans d’autres choses qu’elles-mêmes. Exemple : l’homme, loin d’être une monade autosuffisante, se conçoit comme un Lego ou un feuilleté d’appartenances diverses (il est un animal, un être spécifique capable de forger des représentations, le rejeton d’une famille, le membre d’une communauté culturelle, etc.) Dans la « coda » de l’ouvrage, Garcia évoque « la chance et le prix » qu’implique pour nous, humains, le fait d’être une chose : d’un côté, nous ne sommes que ça, des choses sans qualités vouées à disparaître dans l’horizon plat de la mort (c’est le prix) ; mais de l’autre, nous ne sommes pas rien, et en nous remplissant d’autres choses, nous pouvons devenir cet objet singulier qui expérimente le relief de la vie (c’est la chance). De toute évidence, il y a un prix à payer pour lire ce traité d’une technicité redoutable. Néanmoins, au bout, il y a la chance de découvrir une authentique vision du monde. Saluons le come-back de l’ontologie.

Sur le même sujet

Article
1 min

L’ouvrageTraité théologico-politique (1670)L’auteurBaruch Spinoza RésuméLa superstition produit une société où règnent la colère, l’hypocrisie, la soumission aux prêtres et aux tyrans, alors qu'une lecture critique des Écritures saintes et une…




Article
11 min
Martin Legros

Comment la modernité, centrée sur le Sujet, a longtemps fait de l’Autre une figure du même, avant de parvenir, avec la phénoménologie, à lui donner toute sa place.