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“Shame” de Steve McQueen © MK2 diffusion

Cinéma

Steve McQueen. « Traiter de l’enfermement pour parler de la civilisation et de la liberté »

Cédric Enjalbert publié le 06 décembre 2011 6 min

« Dans tout ce que je fais, je ne suis qu’un pauvre black qui essaie de se battre pour garder la trique dans ce monde difficile et cruel. » Faisant sienne cette citation de son confrère Spike Lee, le réalisateur Steve McQueen continue d’explorer la question de l’enfermement et de la liberté dans son second film : Shame.

 

Rencontré dans un hôtel luxueux de la place de Vosges, l’artiste issu du milieu de l’art contemporain, ambassadeur de la Grande-Bretagne à la Biennale de Venise en 2009, explore au petit matin, entre une tasse de thé et un bol de céréales, les pistes philosophiques tracées par cette réflexion sur la honte. Tenant d’une esthétique très sophistiquée, au service de dialogues rares mais profonds, le brillant réalisateur anglais, a été lauréat de la Caméra d’or au Festival de Cannes en 2008, avec Hunger. Le film suivait la terrible lutte politique de Bobby Sands, leader de l’IRA mort d’une grève de la faim dans la prison nord-irlandaise. Shame brosse à présent la descente aux enfers d’un financier brillant dévoré par le démon du sexe : Brandon, incarné par Michael Fassbender, honoré par le Prix de l’interprétation masculine à la Mostra de Venise, et également à l’affiche de A Dangerous Method.

 


Un traité des passions

« En tout ce que je réalise, je tends à élaborer une théorie des passions. Dans Shame, comme dans Hunger, je traite du désir, du besoin. Mais là où une dimension métaphorique animait Hunger, avec le jeu de mot anglais faim/désir, dans Shame, le propos est beaucoup plus manifeste. “Honte” est réellement le sentiment qui ressort de l’enquête que j’ai menée auprès des personnes atteintes de cette inclination compulsive au sexe : un sentiment de honte après l’éjaculation. Il ne s’agit pas seulement du regard d’un tiers mais aussi de ce que le sujet sait. Nous sommes tous immoraux et, paradoxalement, nous avons tous ce regard intérieur qui nous dit : “c’est mal”. De fait, la religion a modelé les lois et les modèles de pensée, elle a déterminé nos jugements internes, que l’on soit croyant ou pas. La morale religieuse infuse nos esprits, comme un fondement de la civilisation occidentale.

Dans le film, tous les proches de Brandon ignorent son comportement. Sa honte n’est pas déterminée par un regard extérieur, elle provient de lui-même. Mon propos est loin d’être religieux. Je m’intéresse au jugement que les gens portent sur eux-mêmes. La morale existe en soi-même, dans les têtes. Shame illustre bien cette phrase de Kundera dans L’Immortalité : “La honte n’a pas pour fondement une faute que nous aurions commise, mais l’humiliation que nous éprouvons à être ce que nous sommes sans l’avoir choisi, et la sensation insupportable que cette humiliation est visible de partout.”»


Un essai sur le libre arbitre

« Quand arrive la nuit, Brandon s’abîme dans une chute aux enfers. Il descend au plus bas des bas-fonds, dans les clubs, les bars et les backrooms. L’ordre chronologique de la séquence n’est alors plus respecté. Ce qui importe c’est la recomposition effectuée par Brandon de la nuit, prévue ou passée, le film qu’il se fait de son existence. De cette nuit, il fait une épreuve. La séquence débute dans un train de banlieue, comme dans les premières images. Ce train apparaît au début du film, il le clôt. En manifestant un tel parallèle entre le commencement, la fin et l’apogée du film, je comptais signifier un absolu : Brandon va au fond de soi, il en revient, inchangé. L’apogée de cette escalade se finit dans une forme de cycle. Il est arrivé à un bout, a trouvé la saleté qu’il cherchait, la vie reprend son cours… avec les mêmes pulsions.

Le public assiste à cette escalade. Il ne manque rien de ce qui se déroule, et il comprend tout. Il voit. Il est complice au sens le plus propre. Comme Brandon, il va jusqu’au bout. Cette extrémité coïncide avec un apprentissage : Brandon comme le spectateur découvrent finalement que l’on a le choix. C’est toute la question du libre arbitre. Brandon avait le choix de s’arrêter, il poursuit. Où l’on apprend qu’être humain, manifestement, c’est avant tout avoir tendance à se répéter… »


Une réflexion sur le corps

« Brandon descend plus bas que terre, sans jamais trouver d’issue. Dans Hunger, dans les prisons d’Irlande du Nord, le corps était une arme, un moyen d’exprimer sa liberté. À l’inverse, dans Shame le corps est un fardeau, un tombeau. Le rapport au corps de Brandon est celui d’une lutte avec soi, avec sa propre présence au monde. Au cœur de New York, ville de tous les possibles, symbole de la liberté et du capitalisme, il use de son corps pour exprimer son affranchissement. Mais Brandon est contraint par cette trop grande liberté, cette absence totale d’attachement.

Avec Shame, je ne me pose évidemment pas en pornographe mais bien en cinéaste. Je ne filme donc pas des scènes pornographiques en filmant des corps exposés, je montre des pensées à nu. Car le sexe n’est pas ce que l’on croit, ce que l’on voit, mais ce qui se passe dans les têtes. Dans la dernière scène du film, par exemple, un ébat amoureux à trois, avec deux femmes, je voulais filmer une scène à quatre avec la caméra, donc le spectateur. Il fallait qu’il soit impliqué, comme une personne. En réalité, à travers Brandon, je ne montre pas un homme monstrueux. Brandon est un homme banal. Il nous ressemble. Comme beaucoup, il participe d’une société où le lien se liquéfie, où le choix s’accroît sans cesse, mais qui demeure cependant très puritaine, animée par des sentiments moraux très forts. L’addiction au sexe n’est bien entendu pas une nouveauté, en revanche elle se développe dans nos sociétés, qui œuvrent à la démultiplication des choix, notamment grâce à Internet. »


Une illustration de la « modernité liquide »

« Dans le monde tel qu’il est, rapide et instable, il n’existe pas suffisamment d’assurances, pour être serein. À l’image, j’introduis ainsi souvent un point de fuite et je réalise des cadrages “décalés”, à la mesure du monde : imparfaits. Je filme l’évidence, la présence, certes, mais aussi l’échappée et la fuite. Car Brandon cherche à se sortir de cette instabilité. Mais cette fuite impossible, à laquelle il aspire à travers le sexe, le jette dans un abîme. New York incarne parfaitement cette instabilité, cette fuite infinie. J’ai choisi cette ville non seulement pour y avoir mené mes recherches, mais aussi parce que New York est la ville-vitesse. C’est un parangon du capitalisme jouisseur. C’est aussi la ville des excès et de l’imperfection. Tout y est possible. Cette démultiplication du choix est un signe que dans nos sociétés les attaches se délitent : plus grand est le choix, plus ténu est le lien.

À New York, la population est aliénée. Le New-Yorkais est prisonnier d’un mouvement dont il ne maîtrise pas le cours. Il est le premier à allumer la télé en rentrant chez lui. Il regarde les pubs et se me met à désirer ce jeans, ce parfum… En un sens voici ce que pointe mon film : la banalité de l’aliénation derrière les apparences de la plus grande liberté. En revanche, je ne souhaitais aucunement enclencher une “prise de conscience”. Elle n’aurait pas de sens, car nous savons tous déjà tout. Nous savons de même que ce film est un divertissement sur cette liberté truquée. D’ailleurs, tout devrait être sujet de divertissement, de distraction.

Il n’est jamais question, en tout, que de cela : l’histoire de ce à quoi vous passerez cette journée. Passerez-vous devant un clochard sans vous arrêter, ignorerez-vous une femme qui se fait tabasser quand elle se fait voler son sac ou si vous éviterez-vous de vous disputer avec votre boulanger ? Finalement, vous mettez votre clé dans la serrure et repassez dans votre esprit le scénario de cette journée. C’est ainsi que les gens survivent : par le divertissement. Je m’apprête à présent à réaliser un film à partir d’un roman écrit en 1935 qui relate le témoignage d’un garçon kidnappé à New York et entré en esclavage pendant douze ans. Je traite à nouveau d’enfermement, mais afin de parler de la civilisation et de la liberté. La liberté, la question que je poursuis. »
 

Sortie le 7 décembre 2011

 

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