Humaine, trop humaine

Une recension de Frédéric Manzini, publié le

Catherine Meurisse est devenue l’une des autrices majeures de la bande dessinée hexagonale : récemment élue à l’Académie des beaux-arts à 40 ans à peine, n’a-t-elle pas déjà réussi l’exploit de faire entrer le neuvième art à l’Institut ? Avec ses albums aussi beaux que profonds – notamment ceux qu’elle a consacrés à Delacroix, aux grands espaces ou au Japon –, elle a créé un style unique qu’on retrouve ici pour aborder un domaine qui l’accompagne depuis des années : la philosophie. Ou plus exactement les figures de philosophes, surtout quand leurs pensées vertigineuses sont rattrapées par la réalité dans ce qu’elle peut avoir de plus prosaïque. En une quarantaine d’épisodes et autant de doubles pages, publiées depuis cinq ans dans Philosophie magazine, Meurisse n’a pas la prétention d’expliquer ou d’illustrer telle ou telle doctrine, mais plutôt celle de poser sur les philosophes un regard expressément « féminin et féministe », qui se révèle à la fois tendre et irrévérencieux, décalé et drôle. Le morceau de cire que Descartes analyse dans ses Méditations métaphysiques ? Le voici revu, corrigé et transposé en séance d’épilation à la cire dans un institut de beauté avant un rendez-vous amoureux : expérience douloureuse qui rappelle à ceux qui en douteraient que l’âme est très liée au corps et ainsi que la cire n’est pas connue que par « une inspection de l’esprit ». Le désespoir métaphysique d’Emil Cioran? On reconnaît le philosophe roumain dessiné sous la forme d’un fœtus saisi en pleine échographie en train de rédiger son livre De l’inconvénient d’être né dont la doctoresse lit sur son écran le contenu à la future mère… laquelle n’est plus sûre de vouloir encore de cet enfant ! Il y a du Sempé dans cette façon de croquer le décalage entre un propos grandiloquent (et parfois auto--satisfait) et l’ordinaire de notre quotidien. Ainsi revisitées avec tendresse, les idées des philosophes en situation ne sont jamais apparues aussi humaines.

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