Le chat de Schrödinger

Une recension de Pierre Péju, publié le

Point de départ du roman : le passage possible mais furtif d’un chat près de la maison où séjourne le narrateur, dans une station du bord de mer aux villas désertes. Ce chat existe-il ou non ? Difficile à dire.

Toile de fond : les thèses de la physique quantique (Heisenberg et ses relations d’incertitude, Everett et ses univers parallèles). C’est un autre chat qui nous y fait pénétrer : le fameux « chat de Schrödinger », héros d’une « expérience de pensée » de ce physicien qui place le félin dans une boîte où du poison ne le tue que si un atome émis par une source radioactive se désintègre, ce qu’il a une chance sur deux de faire. Alors ? Il faut admettre, dit Schrödinger, que tant que personne n’a regardé dans la boîte, le chat est à la fois « mort et vivant ». La science appelle ça des « états superposés », modèle qui a donné lieu à des applications concrètes dans l’univers de l’infiniment petit.

Mais dans la vie ?

Méditant sur Leibniz et l’infinité des mondes possibles, Borges et la multiplication des êtres par les miroirs, Buridan ou Occam (et son rasoir), Forest nous ramène sans cesse à l’intimité d’un homme qui erre seul et devient chercheur fondamental : non du « Temps perdu »  mais de l’« Existence manquante ». « Que chercherait-on, sinon ce qui n’est pas, qui vous manque, à la réalité de quoi, sans doute, l’on ne croit pas, mais qui demande cependant qu’on lui prête par hypothèse, une certaine sorte d’existence. »

L’être à la fois présent et absent, c’est aussi une petite fille morte à 4 ans… l’Enfant éternel ! Où est passée la réalité des jours où l’enfant était encore là ? « Si je retrouvais un mot, une phrase, ce serait comme si, dans ma propre nuit, mon pied heurtait tout à coup une des petites pierres qu’elle avait posées autrefois. » Cailloux des contes et des histoires qu’on inventait pour elle. 

Comme la physique quantique, la mélancolie considère comme « morts et vivants » les êtres aimés disparus. Forest se livre ici moins à une « expérience de pensée » qu’à une « expérience d’écriture ». Il lui fallait un chat. Une ombre de chat qui passe dans le vide obscur. Et, comme aurait dit (ou pas dit) Confucius : « Il est difficile d’attraper un chat dans le noir, surtout lorsqu’il n’y a pas de chat. »

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