Les Troubles du récit
Une recension de Martin Legros, publié leC’est en s’excusant que Jean-Marie Schaeffer introduit, à la page 175 de son dernier essai, un élément biographique qui donne son poids et sa force à sa réflexion. Son père est mort après une chute dans l’escalier qui menait à la cave de sa maison : sa tête s’est fracassée sur le sol où on l’a découvert baignant dans son sang. Mais, alors que les médecins ont tenté de convaincre Schaeffer que son père était mort sur le coup, celui-ci s’est aperçu avec effroi, lorsqu’il est descendu sur les lieux, qu’il avait eu le temps avant de mourir de poser deux empreintes de ses mains ensanglantées sur le mur. « Mon cœur faillit s’arrêter à l’instant même », écrit-il. Cette vision traumatique va déclencher chez lui une série de films intérieurs où il se rejoue, comme pour l’apprivoiser, la chute tragique de son père. « Mon imagination a fini par parcourir toutes les variantes possibles. Et mon esprit, comme rassuré par le fait que désormais aucun nouvel aspect envisagé ne pouvait se tapir quelque part, a fini par intégrer la mort de mon père dans le monde de ma vie, par me la rendre familière. »
Existentielle et personnelle, cette leçon recoupe la thèse, forte et troublante, de cet essai. Notre conception du récit, et de ce qu’on appelle depuis Ricœur « l’identité narrative » – le sujet se définit par l’histoire qu’il se raconte à lui-même sur lui-même –, est formée par les grands récits canoniques de la littérature, romans ou biographies, qui, même s’ils sont parfois embrouillés, ont une structure élaborée et une forme finie. Or, soutient Schaeffer, la place du récit dans nos vies est beaucoup plus archaïque : il est présent, avant même l’anticipation ou le souvenir des événements quotidiens ou mémorables de notre vie, dans la moindre de nos perceptions. Il est traversé de trous et de zones grises, il emprunte aux images partagées autant qu’au langage. Appuyée sur les recherches en neurosciences et en psychologie cognitive, la réflexion de Schaeffer nous invite à concevoir le récit comme une rumeur incessante, sans début ni fin, intérieure à chacun mais passant constamment de l’un à l’autre. Cette rumeur « tisse conjointement ce que nous appelons notre “moi” et ce que nous appelons “la réalité” ». Elle survit parfois à notre mort sous forme d’échos affaiblis dans l’esprit des autres. Et permet aussi à notre cœur de ne pas s’arrêter d’effroi devant la mort des autres.
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