Aimer au temps de l’individualisme
Jamais nous n’avons donné autant de valeur à l’amour. Et jamais l’individualisme n’a été aussi fort, ni la sexualité plus affranchie. Paradoxe ? Non, c’est là, entre indépendance et romance, la forme contemporaine du drame amoureux.
De l’amour, nous attendons tout et surtout le meilleur. Nous espérons qu’il exauce nos désirs, enchante notre quotidien. Qu’il remédie à notre solitude et satisfasse notre besoin de consolation. Car, nous autres, contemporains, sommes entrés dans l’ère de ce que le sociologue allemand Ulrich Beck appelle la « religion séculière de l’amour ». Or ce qu’une telle religion nous empêche de voir, c’est que l’amour n’a jamais été, au cours des âges, une expérience tranquille ni un synonyme d’assouvissement : il s’est toujours présenté comme un problème davantage que comme une solution.
La forme contemporaine du problème de l’amour est paradoxale. Comme l’a diagnostiqué le penseur anglais Anthony Giddens dans La Transformation de l’intimité, nous sommes aujourd’hui tiraillés entre deux aspirations contraires. D’un côté, les individus des sociétés occidentales sont à la recherche de la « relation pure », d’un lien fort et idéalisé qui dérive de la conception romantique de l’amour. Ce concept de relation pure désigne « une situation dans laquelle une relation sociale est entamée pour elle-même, ou plus précisément pour ce qu’un individu peut espérer de son association durable avec un autre, cette alliance ne se perpétuant que dans la mesure où les deux partenaires jugent qu’elle donne suffisamment satisfaction à chacun pour que le désir de la poursuivre soit mutuel ». Une telle relation est une nouveauté dans l’histoire. Dans les sociétés prémodernes, le mariage était le plus souvent arrangé : afin de transmettre le nom et l’héritage dans l’aristocratie, d’organiser les travaux agraires chez les pauvres. Dans nos démocraties, au contraire, la plupart des unions ne sont pas imposées par la tradition ni par les nécessités matérielles, mais par le consentement des intéressés. Cette sphère de la relation pure, qui a pour effet collatéral de rendre le choix de l’être aimé plus conscient, plus réflexif, coïncide historiquement avec l’apparition, à la suite de la libéralisation des mœurs, d’une « sexualité plastique ». Avec la maîtrise de la contraception, la sexualité s’est décentrée et affranchie des exigences de la reproduction. Il n’y a d’ailleurs plus une sexualité mais plusieurs. Les comportements sexuels tendent à devenir expérimentaux, consuméristes, voire addictifs, comme le signale le succès symptomatique, dans le monde anglo-saxon ou en France, des cercles des Dépendants affectifs et sexuels anonymes. En tout cas, la sexualité n’est plus liée à la domination masculine ni à la toute-puissance du phallus, elle met en jeu des partenaires dont le désir prend une importance égale. Selon Anthony Giddens, l’égalité des sexes n’a pas balayé toute répartition des rôles, l’aspiration à la relation pure étant plus fréquente chez les femmes et les conduites sexuelles addictives chez les hommes. Quoi qu’il en soit, et sans même supposer que l’homme et la femme sont des pôles irréconciliables, on voit se dessiner les termes contemporains du problème : comment associer aspiration romantique à la fusion et industrie pornographique ? Besoin de s’épanouir dans une vie de couple réussie et individualisme libéral ? Engagement et autonomie ?
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