Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

© Skynesher/iStockphoto

Au fil d’une idée

Qu’est-ce qu’une famille ?

Marie Denieuil publié le 25 décembre 2021 6 min

La période des fêtes de fin d’année est celle du rapprochement familial par excellence – du moins pour ceux qui ont toujours des membres de leur famille auprès d’eux. La famille vient cimenter nos liens de parenté en même temps qu’elle révèle nos dissensions. Mais sait-on au juste ce qu’est la famille ? Ce qu’on sait en tout cas, c’est qu’elle n’est pas une mince affaire ! Quatre penseurs nous en disent plus : Lévi-Strauss, Freud, Schopenhauer et Donna Haraway.

La famille est une structure de parenté

La famille revêt de multiples aspects dans les sociétés humaines : clan, tribu, groupe d’appartenance dont on a hérité ou bien famille que l’on fonde, biologique, adoptive, sans enfants ou encore recomposée, monoparentale, désormais parfois homoparentale… Autant de formes qui témoignent aussi bien de la nécessité de son existence que de la difficulté à la conformer à un modèle unique, voire à la définir.

Dans Les Structures élémentaires de la parenté (1949), l’anthropologue Claude-Lévi Strauss nous explique que la famille est avant tout une structure : une structure de relations, organisée de sorte que chacun de ses membres ait un rôle attitré par rapport aux autres (père, mère, enfants, oncles et tantes, grands-parents, etc.). Il existe un ordre, même tacite, au sein d’une famille, généré lui-même par un système d’alliances préalables. Lévi-Strauss définit ainsi le mariage comme « la rencontre dramatique entre la nature et la culture, entre l’alliance et la parenté » : cette alliance a pour vocation de perpétuer la famille avec la naissance d’enfants, et en même temps, elle engendre une nouvelle structure de parenté.

La pérennisation de cette structure suppose des interdits pour l’encadrer. La prohibition de l’inceste, selon l’anthropologue, en est l’invariant universel. Elle est une loi morale qui interdit les relations sexuelles ou le mariage officiel entre membres d’une même parenté (parent-enfant ou degré plus éloigné de parenté). Cet interdit vient non seulement du fait que la société reconnaît « d’autres liens que ceux de la consanguinité », mais aussi qu’elle reconnaît que « le procès naturel de la filiation ne peut se poursuivre qu’à travers le procès social de l’alliance », qui représente une ouverture nécessaire au renforcement et à l’agrandissement d’une famille – là où l’inceste, au contraire, provoquerait son extinction. Si, sur le plan formel, on observe que la famille est une structure faite de relations symboliques, que se passe-t-il alors dans la tête de ses membres ?

Le lieu de toutes les névroses ?

Idéalement, la famille devrait pouvoir constituer un environnement adapté au bon développement de l’enfant. Mais toutes les familles ne sont-elles pas au fond dysfonctionnelles ? C’est du moins ce que semble nous apprendre Sigmund Freud, lorsqu’il définit la famille avant tout comme une réalité psychique, la cellule de toutes nos névroses.

Ainsi distingue-t-il les trois instances de l’appareil psychique qui interagissent dès les premiers instants de la vie familiale. Le « Ça », réservoir de nos pulsions (de vie et de mort) entre en conflit avec le « Surmoi », qui constitue le lieu d’intériorisation des interdits parentaux (en premier lieu l’interdit œdipien posé par le père face à la mère). Quant au « Moi », il vient faire tampon entre les deux. De ce conflit psychique exacerbé par le noyau familial surgissent des névroses et leurs symptômes : angoisse, culpabilité, mal-être, troubles somatiques… Le cas de sa patiente Elisabeth von R. l’illustre bien : partagée d’une part entre sa haute moralité qui lui dicte de préserver l’équilibre de sa famille, et d’autre part son désir érotique profond pour son beau-frère dont elle n’a pas conscience, le conflit provoque chez elle un sentiment de culpabilité tel qu’elle souffre de symptômes physiques violents.

En outre, si la famille est le lieu par excellence de la culpabilité, elle est aussi, pour Freud, un lieu de projections, qui consiste à attribuer à autrui des affects ou des pensées qui nous appartiennent et que l’on n’assume pas. Autrement dit, plus on aurait intériorisé d’interdits familiaux et moraux, plus on aurait tendance à projeter nos désirs refoulés sur ceux qui nous sont les plus proches. Dans Cinq Psychanalyses (1935), Freud prend l’exemple de Dora, une jeune patiente en conflit avec son père. Son penchant lesbien inavoué pour la maîtresse de celui-ci la pousse à lui adresser des reproches qui ne sont en réalité que l’envers de son propre désir refoulé ou des accusations qu’elle se porte à elle-même.

Mais ces symptômes peuvent être (en partie) levés si l’on en déchiffre la signification inconsciente : ils correspondent au besoin de trouver un compromis sain entre nos désirs d’une part, et la structure morale de notre famille et de la société d’autre part. D’où vient, pour le psychanalyste, que nous nous construisons un « roman familial » : nous nous inventons une autre famille que la nôtre, qui correspondrait davantage à nos besoins, afin d’échapper à ces interdits qui de tous côtés nous font face et nous empêchent d’être nous-même.

La juste distance : de la famille à soi

Que faire, alors ? Fuir le huis-clos familial pour aller respirer un peu en dehors, ou bien s’en accommoder pour in fine se bricoler une identité ménageant nos désirs et nos interdits intériorisés ? La réponse est sans doute dans l’équilibre entre ces éléments. La famille peut aussi, tant s’en faut, représenter un lieu d’ancrage et de bonheur possible, à condition de garder une juste distance avec ses membres.

Connaissez-vous la fable des porcs-épics qu’Arthur Schopenhauer nous raconte dans Parerga et Paralipomena, à propos des relations humaines ?

“Par une froide journée d’hiver, un troupeau de porcs-épics s’était mis en groupe serré pour se garantir mutuellement contre la gelée par leur propre chaleur. Mais tout aussitôt, ils ressentirent les atteintes de leurs piquants, ce qui les fit s’écarter les uns des autres. Quand le besoin de se réchauffer les eut rapprochés de nouveau, le même inconvénient se renouvela, de sorte qu’ils étaient ballottés de çà et de là entre les deux maux jusqu’à ce qu’ils eussent fini par trouver une distance moyenne qui leur rendît la situation supportable”

Arthur Schopenhauer, Parerga et Paralipomena (1851)

Ainsi en est-il de la vie en société, pour Schopenhauer, et par-là de la vie familiale, qui en constitue les prémices. D’un côté, l’humain a besoin de proximité avec ses semblables, lui qui ressent « vide et monotonie dans sa vie intérieure ». Mais d’un autre, il a besoin de distance pour supporter « l’antipathie » et les « défauts insupportables » de ses pairs. La juste distance que l’on peut parvenir à trouver entre les membres de sa fratrie permet ainsi de jouir de ses avantages sans trop s’exposer à ses inconvénients. Ni trop près, ni trop loin. C’est ce que Schopenhauer appelle la « politesse » et les « belles manières », qui permettent de se réchauffer sans se piquer, d’être soi-même sans être aliéné, de se donner de la force sans s’appesantir.

De la famille subie à la famille choisie ?

L’adage est bien connu : « On ne choisit pas sa famille, mais l’on choisit ses amis. » Entendue ainsi, l’amitié, en ce qu’elle désigne une relation fondée sur la reconnaissance mutuelle de deux entités qui se « veulent du bien », peut permettre de constituer une famille symbolique. C’est comme cela qu’Albert Camus considérait son amitié avec René Char, une valeur aussi solide et structurante qu’un lien filial heureux.

“La vie d’aujourd’hui est trop dure, trop amère, trop anémiante, pour qu’on subisse encore de nouvelles servitudes, venues de qui l’on aime. […] C’est ainsi que je suis votre ami, j’aime votre bonheur, votre liberté, votre aventure en un mot, et je voudrais être pour vous le compagnon dont on est sûr, toujours”

Albert Camus, lettre à René Char datée du 17 septembre 1957

Ce sentiment filial caractérise un lien de proximité ou une affinité élective chez l’être humain. Non imposé de l’extérieur, il semble au contraire naître d’un choix personnel et de l’identification d’un être humain pour un autre. Et cette entité peut avoir des frontières très larges ! C’est ainsi que Donna Haraway élargit, par exemple, la notion de parenté à celle qui peut lier l’humain et l’animal, et en particulier le chien. Dans Le Manifeste des espèces compagnes, l’universitaire américaine étudie les rapports de cohabitation et de partenariat qui se nouent entre les chiens et nous, accompagnant nos évolutions respectives : « Vivre avec les animaux, investir leurs histoires et les nôtres, essayer de dire la vérité au sujet de ces relations, cohabiter au sein d’une histoire active : voilà la tâche des espèces compagnes. »

L’élargissement de la structure familiale aux animaux ne date pas d’hier. Mais d’un point de vue juridique, cette prise en compte est assez récente : aux États-Unis, dans des États comme la Californie, en cas de divorce d’un couple, le statut du chien de famille n’est plus tant, aujourd’hui, celui d’un animal de compagnie que presque celui d’un enfant. De quoi donner des idées aux grands déçus de la famille qui, comme André Gide, clament toujours leur amour-haine : « Famille, je vous hais… »

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Bac philo
2 min
L’inconscient
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

L’inconscient désigne négativement ce qui s’oppose à la conscience, ce qui en est dépourvu (comme l’état de sommeil) et positivement l’appareil psychique que décrit la psychanalyse, et qui serait la cause de la plupart de nos…


Article
8 min
Jean-Philippe Pierron : “Toute parenté est une adoption”
Octave Larmagnac-Matheron 09 décembre 2020

Le geste d’adoption nous montre que la famille, si elle peut être l’espace d’un repli sur soi par la nécessité des liens du sang, est aussi le…

Jean-Philippe Pierron : “Toute parenté est une adoption”

Article
3 min
Manifeste des 130 médecins: la parentalité, entre politique et génétique
Victorine de Oliveira 20 mars 2016

Jeudi 17 mars, un collectif de médecins publiait dans “Le Monde” un manifeste dénonçant les incohérences de la loi française quant à l’adoption et…

Manifeste des 130 médecins: la parentalité, entre politique et génétique

Bac philo
2 min
Bonheur
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Le bonheur est un état de satisfaction durable et complet. Il ne se réduit donc pas au plaisir qui est toujours bref et partiel. Mais si chacun connaît des moments de plaisir, tous n’atteignent pas le bonheur. D’autant qu’être heureux…


Article
4 min
Achille et Patrocle : une affection
 puissante
Octave Larmagnac-Matheron

Récit – La colère d’Achille n’a d’égale que l’affection qu’il porte à son ami Patrocle. L’intensité de cette amitié, qui évoque le sentiment amoureux, a fait couler beaucoup d’encre au fil des siècles. Ce qu’elle a de…


Article
7 min
Clément Rosset : “Ma découverte philosophique centrale m’est venue en entendant à la radio l’opéra ‘Œdipe’ de Georges Enesco !”
Alexandre Lacroix 23 septembre 2021

Dans cet extrait du deuxième entretien de La Joie est plus profonde que la tristesse (Stock/Philosophie magazine éditeur, 2019), le philosophe…

Clément Rosset : “Ma découverte philosophique centrale m’est venue en entendant à la radio l’opéra ‘Œdipe’ de Georges Enesco !”

Entretien
14 min
Donna Haraway : “Il faut apprendre à entrer en contact avec le “plus qu’humain’”
Martin Legros 30 novembre 2023

Grande voix de la pensée américaine, Donna Haraway revient sur son itinéraire étonnant au carrefour de Thomas d’Aquin et du féminisme radical, de…

Donna Haraway : “Il faut apprendre à entrer en contact avec le “plus qu’humain’”

Bac philo
3 min
Le désir
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Le désir est souvent conçu comme l’expression d’un manque. Le mot vient d’ailleurs du langage des oracles où il désigne l’absence d’une étoile (siderius) dans le ciel. On distingue le désir du besoin (qui appelle une satisfaction…


À Lire aussi
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
“Le monde comme volonté et comme représentation”, d’Arthur Schopenhauer : une volonté qui vient de loin
Par Victorine de Oliveira
novembre 2022
Sigmund Freud : « Rien n’est plus difficile à supporter qu’une série de beaux jours »
Par Nicolas Tenaillon
septembre 2012
« Les mariages d’amour sont conclus dans l’intérêt de l’espèce et non au profit de l’individu. » Arthur Schopenhauer
Par Olivia Gazalé
octobre 2012
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Qu’est-ce qu’une famille ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse