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Bruce Bégout à Lectoure (Gers) en 2022. © Isabelle Souriment Bazin pour PM

Entretien

Bruce Bégout : “Nous sommes la dernière génération à pouvoir célébrer les ruines”

Bruce Bégout, propos recueillis par Victorine de Oliveira publié le 05 mai 2022 15 min

Bruce Bégout a écrit sur le vide de Las Vegas comme sur la phénoménologie de Husserl. Dans son nouvel essai, Obsolescence des ruines, le philosophe s’inquiète de l’impossibilité pour le monde contemporain d’inscrire la mémoire dans le paysage. Rencontre avec un inlassable collectionneur d’expériences.

 

Lorsque je retrouve Bruce Bégout un lundi après-midi, le philosophe est honnête : il a eu un week-end difficile. Il a travaillé… et s’est couché à 5 heures, dimanche matin, pour célébrer un anniversaire. Lorsqu’il affirme éprouver son corps pour faire de la philosophie, on le croit donc sur parole. Après tout, le corps en situation n’est-il pas à l’origine de la phénoménologie ? Bruce Bégout la pratique en collectionneur insatiable d’expériences, qui le portent de Lectoure, le village du Gers où il s’est installé il y a quelques années, aux zones périurbaines et aux métropoles américaines dont les lumières et le gigantisme l’appellent, comme il le dit lui-même, et font écho à son goût pour l’esthétique post-punk. L’un des plus beaux compliments qu’on lui ait jamais adressé, se souvient-il, vient d’un adolescent qui, après une conférence, lui confie que la lecture de ses ouvrages lui fait le même effet qu’écouter une chanson des Cure. L’un des meilleurs albums du groupe britannique porte d’ailleurs le nom de Disintegration (Polydor, 1989). Ce processus de « désagrégation », Bruce Bégout le traque sans relâche dans notre environnement. Que racontent les espaces urbanisés à coups de pavillons uniformisés, de constructions en Placo et de hangars en déshérence ? Ils témoignent d’un bouleversement majeur, que Bruce Bégout décrit dans son nouvel essai, Obsolescence des ruines (Inculte) : le passage d’une architecture de la durée, de la solidité, qui, avant de retourner à la poussière, passe d’abord par le stade poétique de la ruine, à une architecture qui porte en elle sa propre déliquescence accélérée et ne peut jamais espérer devenir ruine. L’économie capitaliste et ses exigences de rentabilité ne détruisent pas seulement des emplois et des vies, mais aussi la possibilité pour l’architecture d’inscrire la mémoire dans le paysage. Pour employer un concept central dans les travaux de Bruce Bégout, nous assistons à un changement d’ambiance : quand la présence de ruines signalait une histoire allant de l’Antiquité à la classe ouvrière de l’ère industrielle, en immergeant le promeneur dans une mémoire centenaire, leur absence signe le règne du flux, de la mobilité et de l’adaptabilité permanente. Une actualité récente entre toutefois en collision avec ce constat. Pour Bruce Bégout, elle est une occasion supplémentaire de défendre la nécessité de conserver les traces, qu’elles soient lentes ou brutales, de l’effondrement.


Bruce Bégout en 6 dates
1967 Naissance à Talence (Gironde)
1984 Premier voyage aux États-Unis
1991 Agrégation de philosophie
2005 Publication de La Découverte du quotidien (Allia)
2015 Installation à Lectoure (Gers)
2020 Publication du Concept d’ambiance (Seuil)


Votre essai sur les ruines trouve un écho inattendu, avec l’omniprésence d’images de destruction venues d’Ukraine. Contrairement aux ruines sans histoire que vous déplorez, celles-ci ne nous ramènent-elles pas au tragique de l’histoire ?

Bruce Bégout : Les ruines de villes détruites réaniment un imaginaire lié à la Seconde Guerre mondiale. Marioupol bombardée rappelle Dresde ou Hambourg en 1945. La destruction des villes par la guerre est immédiate, spectaculaire, elle implique des morts et des blessés, donc une souffrance immense. Les ruines que l’on voit en Ukraine sont celles de bâtiments datant des années 1950-1960, qui appartiennent à une production architecturale liée au béton, à la solidité. Ce sont de grands ensembles d’immeubles d’habitation, des gares, des infrastructures, des théâtres. Ce qui m’intéresse plutôt, c’est la production architecturale de ces trente-quarante dernières années : une architecture commerciale, à la va-vite, que Rem Koolhaas appelle le junk space, l’« espace poubelle » contemporain. Cette production a déjà l’air si précaire qu’il n’y aurait même pas besoin de la bombarder : une simple pichenette suffit, ça tombe tout seul. De la poétique de la ruine ancienne, solide malgré sa dégradation lente, et propice à une méditation sur le temps, sur notre finitude, sur la vulnérabilité, on est passé à un imaginaire des gravats – des monceaux d’éléments décomposés et indistincts, des tas, des déchets.

 

Quel est le problème avec le bâti contemporain ?

Entre 1830 et 1950, l’architecture de la société industrielle visait encore un imaginaire du sublime. Il fallait construire pour le futur, la bourgeoisie avait besoin de reprendre la symbolique du monde aristocratique pour s’inscrire dans la durée. Elle voulait rivaliser avec le temps long de l’ancien monde, son inscription dans les corps et les têtes. Mais, progressivement, on a abandonné cette symbolique de l’élévation et de la grandeur, pour ne la réserver qu’à l’architecture signée par des stars comme Jean Nouvel, Frank Gehry ou Zaha Hadid. Or cette production spectaculaire ne représente qu’une infime partie de la production actuelle. L’architecture contemporaine, c’est plutôt celle que l’on croise à l’entrée des villes et des villages : le hangar du concessionnaire automobile, du magasin de bricolage et les zones pavillonnaires. On est passé d’une architecture pyramidale, du symbole de la solidité du capitalisme naissant, à une architecture des flux, de la flexibilité, de la précarisation, qui a troqué la carte de la grandeur pour celle d’une rentabilité immédiate. Cette architecture de la précarité intègre le court terme et renonce donc à faire des ruines. Lorsqu’elle se désagrège, elle devient immédiatement gravats. Pour qu’il y ait ruine, soit une dégradation lente, il faut une certaine solidité, le maintien d’une certaine cohérence formelle : c’est le paradoxe de la ruine. Le junk space, lui, n’a que faire des valeurs de durée, de solidité. La production urbaine et architecturale actuelle manifeste de façon éclatante le goût de notre société pour la destruction accélérée.

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