Aller au contenu principal
Menu du compte de l'utilisateur
    S’abonner Boutique Newsletters Se connecter
Navigation principale
  • Le fil
  • Archives
  • En kiosque
  • Dossiers
  • Philosophes
  • Lexique
  • Citations
  • EXPRESSO
  • Agenda
  • Masterclass
  • Bac philo
 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
rechercher
Rechercher

Valérie Pécresse et Anne Hidalgo. ©Denis/Rea

Le débat

Droits de succession : faut-il réformer la fiscalité – et si oui, comment ?

Marius Chambrun publié le 02 février 2022 6 min

« Qu’avez-vous fait pour tant de biens ? Vous vous êtes donné la peine de naître, et rien de plus », déclare le Figaro de Beaumarchais dans son célèbre monologue contre la noblesse. Si cette critique de l’héritage comme reproduction d’inégalités sociales n’est pas neuve, elle n’est cependant pas majoritaire : selon un récent sondage, 81% des Français se disent contre toute augmentation de la fiscalité sur les successions – qui, dans une certaine mesure, est en France déjà la plus lourde d’Europe. Quelle est la philosophie des différents candidats à la présidentielle sur ce sujet ?

Rationalité économique contre sentiments familiaux

Taxer l’héritage : le débat ne relève pas seulement du domaine économique, mais concerne les affects. Pour certains, la taxation des successions est un véritable « impôt sur la mort ». Dans l’imaginaire collectif, le débat autour de l’héritage implique souvent l’exemple d’une famille ayant accumulé un patrimoine au prix d’une longue vie de travail, et qui voit ce patrimoine taxé à la mort d’un de ses membres. Quoi de plus normal, pourtant, que de vouloir le transmettre à ses enfants ? Mais une lecture économique semble contredire cette vision. Un chiffre le montre : s’agissant des héritages en ligne directe (ce que l’on transmet à ses enfants ou petits-enfants), 85% des Français ne payent pas de droits de succession.

L’argent gagné par l’État à travers cet impôt provient majoritairement de rentes accumulées tout au long d’une vie et transmises de génération en génération. Elles ne sont donc pas le fruit de vies de labeur. De nombreux économistes préconisent d’ailleurs de taxer davantage les successions afin de mieux redistribuer les richesses. Les candidats de droite et de gauche ont pris sur cette question des directions opposées, en se replaçant dans un débat philosophique classique autour de la question de la propriété et de sa transmission.

À droite, préserver la propriété privée en invoquant la famille

Les candidats de droite et d’extrême droite s’opposent à toute hausse de la taxation sur l’héritage. Ils défendent même un allégement des droits de succession, à commencer par Valérie Pécresse, qui entend les supprimer « pour 95% des Français ». Elle se pose en défenseur de la propriété des familles : « J’assume qu’on puisse transmettre son patrimoine à ses enfants, c’est le fruit d’une vie de travail qui a été taxé, hypertaxé et retaxé. » L’héritage est ici vu comme le fruit de son travail que l’on transmet à ses enfants, et il ne serait pas juste que l’État s’en saisisse. Même son de cloche chez ses concurrents d’extrême droite : Marine Le Pen souhaite exonérer une large partie des biens immobiliers de droits de succession afin de « favoriser l’enracinement et la transmission », et Éric Zemmour veut supprimer les taxes sur la transmission d’entreprises familiales. Toutes ces propositions relèvent d’une même volonté : celle de sanctuariser le patrimoine des familles, au nom d’une défense de la propriété privée.

On est tenté de rapprocher ces candidats du grand défenseur de la propriété privée qu’est le philosophe anglais John Locke. Il la définit en effet dans son Traité du gouvernement civil (1690) comme un droit fondamental au même titre que le droit à la vie et à la liberté, et qui est légitimé par le travail. Tout ce qui découle du labeur de l’homme relève de sa propriété : « Le travail de son corps et l’ouvrage de ses mains lui appartiennent en propre. » Personne ne peut s’approprier le fruit de notre travail, qui résulte de notre seule action : « Il mêle son travail à tout ce qu’il fait sortir de l’état dans lequel la nature l’a laissé, et y joint quelque chose qui est sien. Par là, il en fait sa propriété. » Les différents candidats de droite défendent bel et bien une conception lockéenne de la propriété privée lorsqu’ils disent que l’on est seul propriétaire de ce que l’on acquiert par notre travail.

Mais revendiquer le respect de la propriété privée suffit-il à défendre l’héritage ? Pas vraiment, car si la propriété est un droit pour Locke, elle est justifiée par le travail, et non par l’obtention d’une rente. Par ailleurs, ce droit est selon lui soumis au principe selon lequel il doit « en rester assez, d’une qualité aussi bonne, et même plus que ne pouvaient utiliser les individus qui n’étaient pas encore pourvus », laissant par là entendre que l’État peut intervenir pour corriger de trop grandes inégalités. In fine, il semble donc que la défense de l’héritage par les candidats de droite et d’extrême droite ne relève pas vraiment d’une conception classique de la propriété privée telle qu’on la trouve chez Locke.

Leur point de vue s’inscrit davantage dans la pensée libertarienne, qui s’en prend à l’idée même d’impôt. L’un des grands représentants de ce courant de pensée, l’Américain Robert Nozick, déclare dans Anarchie, État et Utopie (1974) que « l’imposition des biens provenant du travail se retrouve sur un pied d’égalité avec les travaux forcés ». L’État doit avoir une fonction minimale, celle de protéger les droits individuels, et il ne peut donc pas violer le droit de propriété en levant l’impôt, ce qui pour Nozick s’apparente à du vol. Dans Méditations sur la vie (The Examined Life: Philosophical Meditations, 1989), il défend l’héritage au nom d’un droit de transmettre le fruit de son travail à sa famille : « Le donateur a gagné le droit de marquer ses liens relationnels via l’héritage. » Nozick va ainsi dans le sens des propositions de la droite selon lesquelles la transmission du patrimoine renvoie à la défense des liens familiaux : « Léguer quelque chose aux autres témoigne de l’affection que l’on a pour eux, et intensifie les liens que l’on entretient avec eux. »

À gauche, (plus ou moins) redistribuer

Pour justifier la volonté d’augmenter la taxation des successions tout en contournant le reproche de la droite de s’en prendre au patrimoine des familles, les candidats de gauche proposent, eux, de cibler les rentes les plus importantes. C’est dans cet esprit que Yannick Jadot et Anne Hidalgo défendent une plus grande progressivité de l’impôt. Mais la proposition qui va le plus loin est certainement celle de Jean-Luc Mélenchon, qui propose de fixer un « héritage maximum » de 12 millions d’euros, au-delà duquel l’État prendrait tout. Afin de faire de cette mesure choc une proposition de justice sociale, il a déclaré vouloir utiliser cet argent pour créer un « revenu étudiant » de 1 063€. L’idée n’est pas neuve, elle se fonde sur le principe de la redistribution et sur l’idée que la transmission d’héritages importants conduit à une concentration de richesses qui nuit à la fois à l’égalité, mais aussi à l’activité car elle dissuade les rentiers de travailler.

Cette critique d’un système inégalitaire qui crée de l’inefficacité économique est présente dans l’oeuvre du philosophe et économiste français Saint-Simon, qui s’en prend aux grands propriétaires capitalistes, formant selon lui une bourgeoisie oisive capable de vivre sans travailler. En effet, si la propriété est un droit, la concentration des biens dans les mains de la bourgeoisie engendre un système d’exploitation des travailleurs. L’héritage est la marque de cette inégale répartition de la propriété, qui n’est plus le fruit du travail comme le prétendait Locke, mais qui se transmet héréditairement et qui entretient l’oisiveté des rentiers. Dans le journal Le Globe (1831), Saint-Simon s’attaque ainsi au « brevet d’oisiveté que constitue l’héritage » et défend un impôt proportionnel aux sommes perçues qui doit permettre à l’État de financer l’instruction des enfants.

Il semble que l’on retrouve ici l’idée de Jean-Luc Mélenchon selon laquelle au delà d’un certain montant, la transmission de l’héritage perpétue de trop grandes inégalités qu’il faut corriger par l’impôt. Sans s’attaquer au droit de propriété, une telle philosophie postule qu’on ne peut pas tolérer que de trop grands écarts de richesse se reproduisent de génération en génération : la taxation des successions doit permettre de mieux la répartir. Faut-il alors suivre les recommandations des économistes, même si elles vont contre l’avis d’une écrasante majorité de citoyens ? La question de l’héritage ne serait-elle en fait qu’un choix entre le cœur et la raison ? Celui qui résume le mieux ce débat est peut-être Emmanuel Macron, président pas encore candidat, lorsqu’il répondait à un économiste qui demandait une plus grande taxation de l’héritage : « Vous avez économiquement raison, mais politiquement tort. »

À lire aussi : est-il juste de taxer l’héritage ?
Expresso : les parcours interactifs
En finir avec le mythe romantique
Cendrillon a 20 ans, elle est « la plus jolie des enfants ». Mais pas pour longtemps. Beauvoir déconstruit les mythes romantiques et les contes de fée qui peuplent encore aujourd'hui l'imaginaire collectif.
Découvrir Tous les Expresso
Sur le même sujet
Bac philo
2 min
La justice et le droit
Nicolas Tenaillon 01 août 2012

Si, étymologiquement, la justice et le droit sont très proches (jus, juris, qui donne l’adjectif « juridique »), la justice est aussi une catégorie morale et même, chez les anciens, une vertu. Nous pouvons tous être révoltés…


Article
4 min
Est-il immoral de déshériter ses enfants ?
Ariane Nicolas 14 mars 2018

La succession de Johnny Hallyday donne lieu à une bataille, mêlant le droit aux sentiments, la justice et la famille. En philosophie, une longue…

Est-il immoral de déshériter ses enfants ?

Article
3 min
La fortune de la Réforme
Cédric Enjalbert 29 novembre 2017

Le projet de loi de finances pour 2018 prévoit la transformation de l’impôt sur la fortune en un impôt sur la fortune immobilière. Et si cela…

La fortune de la Réforme

Article
3 min
Des problèmes avec l'argent?
12 juillet 2013

La richesse globale des 500 premières fortunes de France a augmenté de près de 25% en un an. Elle représente désormais 330 milliards d’euros, 10%…

Des problèmes avec l'argent?

Article
3 min
De la succession dans les idées
Marius Chambrun 15 février 2022

Les droits de succession s’invitent dans la campagne présidentielle et divisent les candidats. Selon leurs convictions, ils sont soit du côté de…

Droits de succession : faut-il réformer la fiscalité – et si oui, comment ?

Article
6 min
Est-il juste de taxer l’héritage ?
Catherine Portevin 27 mars 2019

La transmission du patrimoine paraît contraire aux principes d’égalité démocratique, mais les Français y sont viscéralement attachés. À l’heure où…

Est-il juste de taxer l’héritage ?

Article
10 min
“Second traité du gouvernement civil” : le pacte social selon John Locke
Victorine de Oliveira 25 avril 2023

Comment les hommes peuvent-ils vivre en paix ? Telle est la grande question qui anime John Locke, témoin de la guerre civile qui ravage l…

“Second traité du gouvernement civil” : le pacte social selon John Locke

Article
4 min
Les plus riches ont-ils le devoir d’aider les plus pauvres ?
Cédric Enjalbert 29 janvier 2019

Alors que les fortes inégalités mondiales entre les plus riches et les plus pauvres suscitent l’indignation, faut-il imaginer de nouveaux…

Les plus riches ont-ils le devoir d’aider les plus pauvres ?

À Lire aussi
1% de la population détient près de la moitié de la richesse mondiale
1% de la population détient près de la moitié de la richesse mondiale
juin 2016
Alain Supiot : “Le néolibéralisme néglige la part d’incalculable de la vie humaine”
Alain Supiot : “Le néolibéralisme néglige la part d’incalculable de la vie humaine”
Par Jean-Marie Durand
août 2022
Pierre Charbonnier : “La préoccupation écologique n’était pas absente du scrutin, elle s’est simplement tournée vers Jean-Luc Mélenchon”
Pierre Charbonnier : “La préoccupation écologique n’était pas absente du scrutin, elle s’est simplement tournée vers Jean-Luc Mélenchon”
Par Jean-Marie Durand
avril 2022
  1. Accueil-Le Fil
  2. Articles
  3. Droits de succession : faut-il réformer la fiscalité – et si oui, comment ?
Philosophie magazine n°178 - mars 2024
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Avril 2024 Philosophe magazine 178
Lire en ligne
Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
Réseaux sociaux
  • Facebook
  • Instagram
  • Instagram bac philo
  • Linkedin
  • Twitter
Liens utiles
  • À propos
  • Contact
  • Éditions
  • Publicité
  • L’agenda
  • Crédits
  • CGU/CGV
  • Mentions légales
  • Confidentialité
  • Questions fréquentes, FAQ
À lire
Bernard Friot : “Devoir attendre 60 ans pour être libre, c’est dramatique”
Fonds marins : un monde océanique menacé par les logiques terrestres ?
“L’enfer, c’est les autres” : la citation de Sartre commentée
Magazine
  • Tous les articles
  • Articles du fil
  • Bac philo
  • Entretiens
  • Dialogues
  • Contributeurs
  • Livres
  • 10 livres pour...
  • Journalistes
  • Votre avis nous intéresse