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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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Sélestat (67), le 19 avril 2023. Emmanuel Macron salue la foule depuis son véhicule lors d’une visite en Alsace. © Ludovic Marin/Pool/AFP

Société

L'aventure et l'esseulement : petite mythologie de la bagnole

Octave Larmagnac-Matheron publié le 26 septembre 2023 7 min

« On aime la bagnole, et moi, je l’adore » : c’est peut-être la phrase qui, de toute l’allocution donnée par Emmanuel Macron dimanche soir sur TF1, aura le plus retenu l’attention. Entre fascination et détestation, l’automobile n’a cessé d’interroger les philosophes, de Barthes à Sloterdijk en passant par Baudrillard. Panorama.


Proust : un nouveau rapport à la Terre

Habitué à voyager en train, Marcel Proust (1871-1922) souligne le changement radical que représente, dans la perception d’un voyage et notre rapport au monde, l’arrivé de l’automobile.

“Il peut sembler que mon amour pour les féeriques voyages en chemin de fer aurait dû m’empêcher de partager l’émerveillement d’Albertine devant l’automobile […] Non, l’automobile ne nous menait pas ainsi féeriquement dans une ville que nous voyions d’abord dans l’ensemble que résume son nom, et avec les illusions du spectateur dans la salle. Il nous faisait entrer dans la coulisse des rues […] De sorte que cet emplacement, point unique que l’automobile semble avoir dépouillé du mystère des trains express, il donne l’impression de le découvrir, de le déterminer nous-même comme avec un compas, de nous aider à sentir d’une main plus amoureusement exploratrice, avec une plus fine précision, la véritable géométrie, la belle ‘mesure de la terre’”

Marcel Proust, Sodome et Gomorrhe, in : À la recherche du temps perdu, 1921

Barthes : un mythe pour le monde moderne

Objet technique symbole de la modernité sécularisée, désenchantée ? Au contraire, pour Roland Barthes (1915-1980) : l’automobile est une source inépuisable de fantasmes magiques.

“Je crois que l’automobile est aujourd’hui l’équivalent assez exact des grandes cathédrales gothiques : je veux dire une grande création d’époque, conçue passionnément par des artistes inconnus, consommée dans son image, sinon dans son usage, par un peuple entier qui s’approprie en elle un objet parfaitement magique”

Roland Barthes, Mythologies, 1957

Debord : la fabrique de l’esseulement

Fabriquer des individus-consommateurs isolés, telle est l’ambition du capitalisme. La voiture, pour Guy Debord (1931-1994), participe directement à cette entreprise de remodelage de la réalité humaine.

“Le système économique fondé sur l’isolement est une production circulaire de l’isolement. L’isolement fonde la technique, et le processus technique isole en retour. De l’automobile à la télévision, tous les biens sélectionnés par le système spectaculaire sont aussi ses armes pour le renforcement constant des conditions d’isolement des ‘foules solitaires’”

Guy Debord, La Société du spectacle, 1967

Lefebvre : un prolongement curieux de l’habitat

La voiture transforme l’organisation matérielle et imaginaire du monde, analyse le philosophe marxiste Henri Lefebvre (1901-1991). Chacun, désormais, emporte sur les routes un peu de la sécurité du chez-soi. Mais en même temps, dans ce monde trop familier, l’auto marque aussi la survivance d’un goût dévoyé pour l’aventure.

“L’espace se conçoit selon les contraintes de l’automobile. Le Circuler se substitue à l’Habiter, et cela dans la prétendue rationalité technicienne. Il est vrai que, pour beaucoup de gens, leur voiture est un morceau de leur ‘habiter’, voire le fragment essentiel. Peut-être y aurait-il lieu d’insister sur quelques faits curieux. Dans la circulation automobile, les gens et les choses s’accumulent, se mêlent sans se rencontrer. C’est un cas surprenant de simultanéité sans échange, chaque élément restant dans sa boîte, chacun bien clos dans sa carapace […] L’Auto, avec ses blessés et ses morts et les routes sanglantes, c’est un reste d’aventure dans le quotidien, un peu de jouissance sensible, un peu de jeu”

Henri Lefebvre, La Vie quotidienne dans le monde moderne, 1968

Baudrillard : la vie privée à la conquête du monde

L’automobile détruit le monde commun, pour Jean Baudrillard (1929-2007). Elle marque l’expansion, toujours plus poussée, de la sphère privée, de l’intériorité domestique, sur l’extériorité collective. Ce faisant, elle devient la clef toute capitaliste de la reconnaissance.

“Tout en résumant les oppositions et les significations latentes de l’intérieur domestique, l’automobile [lui] ajoute une dimension de puissance, une transcendance qui lui manquait – sans jamais remettre en cause le système lui-même ; la quotidienneté privée prend avec la voiture les dimensions du monde sans cesser d’être la quotidienneté : le système se sature ainsi efficacement sans se dépasser. Le déplacement est une nécessité, et la vitesse est un plaisir. La possession d’une automobile est plus encore : une espèce de brevet de citoyenneté, le permis de conduire est la lettre de créance de cette noblesse mobilière dont les quartiers sont la compression, et la vitesse de pointe”

Jean Baudrillard, Le Système des objets, 1968

Gorz : l’aliénation à la “bagnole”

Les problèmes posés par la voiture sont innombrables, regrette André Gorz (1923-2007) ; mais il est devenu presque impossible de s’en passer, car le monde moderne est organisé en fonction d’elle, à sa mesure. Comment échapper à cette aliénation ?

“La vérité, c’est que personne n’a vraiment le choix : on n’est pas libre d’avoir une bagnole ou non parce que l’univers suburbain est agencé en fonction d’elle – et même, de plus en plus, l’univers urbain. C’est pourquoi la solution révolutionnaire idéale, qui consiste à supprimer la bagnole au profit de la bicyclette, du tramway, du bus et du taxi sans chauffeur, n’est même plus applicable dans les cités autoroutières […] L’alternative à la bagnole ne peut être que globale. Car pour que les gens puissent renoncer à leur bagnole, il ne suffit point de leur offrir des moyens de transports collectifs plus commodes : il faut qu’ils puissent ne pas se faire transporter du tout parce qu’ils se sentiront chez eux dans leur quartier, leur commune, leur ville à l’échelle humaine, et qu’ils prendront plaisir à aller à pied de leur travail à leur domicile – à pied ou, à la rigueur, à bicyclette”

André Gorz, L’Idéologie sociale de la bagnole, 1973

Virilio : la transformation du monde en spectacle

Vu depuis l’habitacle automobile lancé à toute vitesse, le monde se déréalise, explique Paul Virilio (1932-2018) : il n’est plus qu’un spectacle, un film, un flash télé, sans rapport concret avec le conducteur.

“La vitesse est une illumination du monde ; parcourir le sol à 300 kilomètres à l’heure, c’est évidemment tout autre chose que de le parcourir à pied. La vitesse, c’est le levier du monde moderne. Au-dessus de 100 kilomètres à l’heure, le monde devient cinématisme. Je mets d’ailleurs sur le même plan le vecteur automobile et le vecteur audiovisuel. La télévision est automobile et le pare-brise est, lui, une machine audiovisuelle qui nous fait assister à un spectacle du monde. Ce que je vois dans la nature n’existe pas quand je suis en automobile : c’est du cinéma, c’est un cadrage lié à la boîte de vitesses”

Paul Virilio dans un entretien donné au journal Le Monde, 1981

Sloterdijk : une nouvelle religion

Dans un monde où l’immobilité est honnie, où le mouvement est la valeur suprême, l’automobile devient la voie d’accès à l’apothéose individuelle : elle permet à l’homme de se sentir l’égal d’un dieu, avance Peter Sloterdijk (1947-).

“La société moderne a réalisé au moins l’un de ses projets utopiques, celui de l’automobilisation complète, la situation où chaque Soi majeur se meut lui-même au volant de sa machine qui se meut elle-même. Parce que dans la modernité le Soi ne peut pas être pensé sans son mouvement, le moi et son automobile font métaphysiquement un, comme l’âme et le corps de la même unité de mouvement. L’automobile est le double technique du sujet transcendantal, actif par principe. C’est la raison pour laquelle l’automobile est l’objet sacro-saint de la modernité, elle est le centre cultuel d’une religion universelle cinétique, elle est le sacrement sur roues qui nous fait participer à ce qui est plus rapide que nous-mêmes”

Peter Sloterdijk, La Mobilisation infinie, 2000

Crawford : la voiture-refuge

Symbole de la société et de consommation et du capitalisme, la voiture n’a pas bonne presse en philosophie. Sans minorer ces critiques, Matthew Crawford (1965-), amoureux de la conduite devant l’Éternel, s’est efforcé de montrer la valeur de cette invention éminemment moderne, plus intéressante que ce qu’en disent les discours caricaturaux qui l’accablent.

“Dans une société où tout moment de repos doit être justifié face à la logique impitoyable des ‘coûts d’opportunité’, le trajet domicile-travail est peut-être le seul véritable moment sabbatique qui nous reste. Même si la circulation est lente, pour peu qu’elle soit assez fluide afin que vous avanciez, cela suffit à étouffer le sentiment coupable de ‘perdre son temps’ qui caractérise la vie moderne. Conduire ressemble alors au geste machinal d’égrener un chapelet, une tâche quasi automatisée qui ne mobilise qu’une fraction de votre conscience périphérique et de vos aptitudes corporelles, instillant en vous simultanément un sentiment de nécessité et de liberté. Dans la logique vorace du capitalisme contemporain, ce sont justement ces moments de liberté qu’il faut domestiquer et intégrer au système. Imaginez un peu les points de croissance que pourrait faire gagner à l’économie nationale la transformation de votre petit congé sabbatique au volant en activité productive ! Au lieu de rêvasser, vous pourriez répondre à des courriels, effectuer des achats en ligne ou vous brancher sur toute sorte de divertissements qui empêcheraient votre imagination d’échapper au système. Car le fait est que malgré les nombreuses frustrations liées à la conduite, nous percevons souvent notre voiture comme un espace humanisant, une sorte de refuge”

Matthew Crawford, Prendre la route, 2021

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