Louis Pasteur, philosophe malgré lui ?

Tout contre la philosophie

« Il y a plus de philosophie dans une bouteille de vin que dans tous les livres. » Cette citation parfois attribuée à Louis Pasteur est certainement apocryphe, mais elle dit bien la défiance du microbiologiste à l’égard de la philosophie. L’a-t-il étudiée de près ? Sans doute pas, mais il la connaît suffisamment ne serait-ce que par le truchement de Charles Chappuis (1822-1897), qui fut son grand ami depuis leur rencontre au collège de Besançon jusqu’à sa mort. Normalien, agrégé et docteur en philosophie (qu’il enseigna avant d’embrasser une carrière administrative), Chappuis fut également l’auteur d’un ouvrage sur le philosophe cynique Antisthène (1854), ainsi que de Conseils aux jeunes gens qui étudient la philosophie (1866). Or Pasteur partagea beaucoup avec ce complice de jeunesse, dont il fit même le portrait sur une lithographie de 1841, dédicacée à « mon camarade de philosophie Ch. Chappuis » (Pasteur était en effet un excellent dessinateur et aurait tout à fait pu devenir peintre, s’il n’avait choisi, à 21 ans, de se dédier entièrement à l’étude de la physique et de la chimie). Le scientifique confie certes dans ses Souvenirs de l’École normale « avoir écouté avec un plaisir infini la conversation de Chappuis, pleine d’idées philosophiques, et d’où se dégage le sens de la dignité dans la vie », mais son écoute ne semble pas s’être prolongée en réponse. À étudier leur correspondance, l’enthousiasme dont témoigne son camarade pour la philosophie ne semble pas davantage trouver d’écho chez un Pasteur, qui paraît y demeurer résolument indifférent. Et Michel Morange de conclure dans la biographie qu’il vient de consacrer au savant (Pasteur, Gallimard, 2022) : « Jamais son ami ne parviendra à le convaincre de l’importance de la philosophie : l’éclectisme philosophique que Chappuis a hérité de Victor Cousin ne laissa guère de traces sur Pasteur. »