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Taj Mahal © Bac films

“Taj Mahal” de Nicolas Saada: la chair de l’événement

Marie-Pauline Chartron publié le 30 novembre 2015 4 min
Dans “Taj Mahal”, le réalisateur Nicolas Saada suit de près une jeune femme prise au piège par des terroristes. Il interroge dans ce “film catastrophe intimiste” la nature de l’événement, entre conscience personnelle et histoire collective. En salles le mercredi 2 décembre 2015.

NB : Ce texte était écrit. Puis il y eut le vendredi 13 novembre 2015. J’étais rue de Charonne, en face du n°92. Lorsque les rafales des terroristes ont retenti, et que les cris ont déchiré la nuit, j’étais en face. De l’autre côté. Une porte vitrée me séparait du dehors. Je me suis retrouvée acculée dans ce lieu, dans l’attente, ne sachant pas. J’avais vu Taj Mahal. Toute la nuit me sont revenues par flashes les images d’un film qui m’avait raconté l’extrême de ce que j’étais en train de vivre.

Taj Mahal évoque le monument mythique de Mumbai, mais c’est également le nom d’un hôtel. Cet établissement fut l’une des cibles des dix attaques simultanées perpétrées entre le 26 et le 29 novembre 2008 par dix militants islamistes. Elles firent 188 morts. Pour ce second long-métrage monté durant les attentats de janvier 2015 à Paris, le réalisateur Nicolas Saada n’entend pas éclairer les enjeux sociopolitiques ou géopolitiques liés au terrorisme islamiste. Le film n’est ni une fiction mettant en lumière de nouveaux héros ou antihéros, ni l’occasion esthétisée d’un débat de civilisation, ni un docu-fiction. Le réalisateur nous entraîne dans les interstices de l’Histoire, faisant revivre ce qui se passe dans l’esprit et le corps des « survivant(e)s ».

Le film est le fruit de la rencontre avec une toute jeune femme rescapée de l’attentat. Nicolas Saada suit ainsi le regard de Louise (la frêle et envoûtante Stacy Martin), une étudiante en photographie de père français (Louis-Do de Lencquesaing) et de mère anglaise (Gina McKee). Dès les premières images, tous les signes convergent avec une gravité inquiète, et non sans ironie, vers la nuit dramatique du 26 novembre. D’emblée, la présence surplombante de la somptueuse musique signée par Nicolas Godin (du groupe Air), aux cordes expressives, puis les mélodies de Duke Ellington, ou encore les harmonies de Philip Glass, font affleurer une émotion teintée de nostalgie. Le spectateur se voit plongé, depuis le présent, dans les sillons d’une histoire déjà connue et désormais révélée depuis l’intime.

 

 

Catastrophe intimiste

Durant la première partie du film, le spectateur, conscient du drame à venir, suit les pérégrinations de Louise, exilée et perdue dans Mumbai. Puis, la matière du film prend la forme, en dilatant le temps de l’attente que Louise éprouve, prostrée seule dans sa chambre d’hôtel, alors que les terroristes montent d’étage en étage. Saisie en plans de plus en plus froids, serrés et asphyxiants, Louise ne perçoit que les bruits terrifiants et indéchiffrables d’explosions, de coups de feu, de hurlements, en off. Ses parents sont de sortie. Le téléphone portable qui la relie à eux, et au monde, est un contact vital et sa seule source d’espoir. À la différence des témoins, Louise, qui vit l’attaque « de l’intérieur », entend et sent, mais ne voit rien.

Taj Mahal est le nom de la catastrophe vécue, du lieu où coïncident et se trament, heure par heure, séparées par une irréductible béance, l’histoire personnelle et l’histoire collective. L’expérience intime de la survie vient alors buter contre le récit médiatique, qui construit la forme des événements. Au dehors, en effet, se met simultanément en place un discours qui désigne la chute de corps anonymes sur les écrans des téléviseurs, en les marquant d’un obscène cercle rouge, tout en occultant les résistances infimes et vives.

Nicolas Saada tente ici un pari délicat. À la croisée du réalisme et du symbolisme, il fait revivre un épisode historique, au plus près de l’une de ses actrices, qui ignore ce qu’elle vit, tout en le faisant advenir. Le spectateur oscille dès lors entre le point de vue de Louise et des contrepoints décentrés sur l’histoire. Ces contrepoints permettent de retracer le parcours de ses parents, dans la ville, pour la rejoindre. Ils nous emmènent hors des quatre murs de la chambre, mais ne pourraint être que les projections d’une imagination solitaire, à la limite de la vie. De même, les rares rebondissements créent un surprenant effet d’enchaînement, non pas selon les hasards ou les logiques de l’Histoire elle-même mais en fonction du fil rouge que suit Louise, dont chaque geste, selon les mots du réalisateur, « devient un événément ». Ainsi, au moment où la jeune fille est sur le point de mettre la main sur son précieux chargeur de téléphone, les terroristes frappent à la porte de sa chambre.


Stacy Martin dans Taj Mahal de Nicolas Saada © Bac films

Film initiatique

Le film jette le spectateur au cœur d’un événement qui a « fait date ». Il s’agit non pas d’éclairer le passé à l’aune de l’Histoire, mais plutôt de donner à voir la signification existentielle de la catastrophe vécue à l’échelle individuelle. Dans cette perspective, Taj Mahal est un récit initiatique qui s’ouvre, en gros plan, sur la chair de Louise, avec la légère douleur qu’elle ressent à la piqûre d’un vaccin, et se referme sur la prise de conscience de sa radicale solitude. Le regard qu’elle tente en vain d’échanger, dans le silence, avec celles et ceux qui ont vécu cette nuit-là, en est le révélateur. Face aux écrans qui montrent le spectaculaire et face à la distance infinie qui sépare d’autrui, l’Histoire vécue reste incommunicable. Et pourtant, c’est précisément cette incommunicabilité de l’expérience, cette épaisseur nouvelle que prend l’espace qui me sépare de l’Autre, et la nouvelle densité qu’acquièrent les visages des vivants, que Nicolas Saada parvient à faire surgir.

L’existence tranquille que menait Louise avant l’attentat s’est effondrée. Elle en sort sidérée et plus consciente des contingences du monde. Quelque chose est passé sur son visage. Comme récit initiatique, Taj Mahal met à l’épreuve le courage, forgé dans l’attente et l’impuissance. Taj Mahal dessine aussi un « événement-type », qui serait le motif même de l’Histoire contemporaine. Vécu comme un choc, sans confrontation ni cause, il ne peut que renvoyer à l’absence totale de sens dans l’œil du cyclone de l’Histoire. Nicolas Saada signe une fiction qui questionne la signification à donner à l’Histoire-récit, en donnant à voir la chair de l’événement, et sa transfiguration.

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