Après nous le déluge
Une recension de Philippe Nassif, publié le« Après nous, le déluge. » Tel est le génial trait d’esprit improvisé par la marquise de Pompadour afin de préserver la gaieté de ses convives lors d’une soirée de 1757 à Versailles, alors que l’on venait d’apprendre la défaite improbable des troupes françaises face à celles de Frédéric II de Prusse. Ce mot, soutient Peter Sloterdijk dans un magistral essai, pourrait bien encapsuler l’humeur générale qui plane sur l’Occident contemporain. C’est qu’à l’époque des Lumières, elles-mêmes motivées par un christianisme laïcisé, s’accomplit une révolution psycho-politique qui « inspire aux Modernes la pensée la plus hardie, la plus incroyable, la plus inimaginable qui ait germé dans les cerveaux humains depuis que les ancêtres ont été expulsés du paradis » : le sentiment que les « événements les plus importants » sont encore à venir. Ce sont les fins et non plus les commencements qui orientent désormais l’humanité. Ce n’est plus la tradition, par laquelle une société se reproduit à l’identique, qui imprime sa tonalité mais l’appel — de jouissance et d’effroi mêlés — au nouveau. Ce n’est plus la parole des pères qui occupe l’avant-scène mais bien plutôt les désirs de leurs « enfants terribles ». Mais voilà, ce que nous avons pris l’habitude de nommer « progrès », Sloterdijk propose de le rebaptiser : « chute en avant » perpétuelle. Car, dans les sociétés nouvelles, « la somme des libérations d’énergie » est systématiquement en excès sur « les forces liantes qui permettent la culture ». Nous vivons à « l’ère des effets secondaires » qui surpassent toujours « les effets principaux visés ». C’est donc une philosophie tragique de l’histoire que présente Sloterdijk en insistant sur les étapes ascendantes de la vie dans le « hiatus » – cette rupture de lien entre les époques : depuis le vote des députés en faveur de la mort de Louis XVI en 1793 jusqu’à l’abandon de l’étalon-or en 1971, en passant par Napoléon, Dada ou Staline.
Décrivant avec son habituel ton, à la fois neutre et ironique, notre « expérience antigénéalogique », Sloterdijk ne croit pas à la possibilité d’une restauration des temps anciens. Mais s’il se moque des odes au « cosmopolitisme », au « métissage », à « l’hybridation », c’est pour souligner qu’elles font bon marché d’une faille inquiétante et qui s’amplifie d’elle-même : la nécessité, pour chacun, de se fonder à partir de rien. Elle requiert, conclut-il, notre conversion à une culture de l’apprentissage permanent des essais et erreurs de l’histoire, afin de muscler notre « endurance » pour la traversée des catastrophes qui, après nous, ne manqueront pas de venir.
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