L'Appel au Pardon : Des Turcs s'adressent aus Arméniens
Une recension de Cédric Enjalbert, publié lePourquoi avoir écrit L’Appel au pardon ?
Cengiz Aktar : Rédigé un an après « l’Appel au pardon » du 15 décembre 2008, diffusé sur Internet, ce livre dresse un récit chronologique et un rappel des réactions. Il est dédié à mon ami le journaliste Hrant Dink, assassiné en 2007, parce qu’il était arménien. Il fut pleuré par beaucoup d’Arméniens et de Turcs, même parmi ceux qui nient le génocide. Le procès en cours traîne, mais son issue est un point focal pour toute la Turquie, qui n’est pas encore habituée au langage de la paix.
Au départ l’appel s’adressait aux Turcs, à tous ceux qui avaient ignoré les événements de 1915, pour leur dire : réveillez-vous ! « Le mot pardon est en trop », nous a-t-on répliqué. Sans lui, l’appel aurait sans doute eu plus de signataires, mais n’aurait pas eu le même sens. Un tabou est brisé. Autrefois, on réfléchissait à deux fois avant de coucher sur le papier le « mot en G ». Désormais, des débats réguliers sont diffusés à ce sujet, à la télévision. Le mastodonte négationniste a bougé.
Le négationnisme est la conséquence de la mémoire gommée. Même le Premier ministre Recep Tayyip Erdogan est convaincu, au plus profond de son imaginaire, qu’on en veut à la Turquie. La vérité et le pardon seront les résultats d’un travail pédagogique de longue haleine : au chapitre Génocide, les manuels scolaires ne disent rien encore. Un travail d’édition important est pourtant en marche depuis 1977. Il y a un manuel d’histoire-géographie parallèle, dont certaines familles se servent pour éduquer leurs enfants, en complément des ouvrages du cursus officiel. En fait, les djinns sont sortis de leur bouteille. Le travail de mémoire débuté est irréversible.
La reconnaissance du génocide par les États-Unis et la Suède, en mars dernier, est-elle un signe de ce changement ?
Que les États-Unis ou la Suède aient reconnu officiellement, respectivement les 4 et 11 mars, le génocide arménien est contre-productif. L’honneur national est piqué. Beaucoup de Turcs soupçonnent un complot contre leur pays. Mais c’était inévitable : quand on ne sait pas dire sa vérité, d’autres viennent vous la dire.
La candidature de la Turquie à l’Europe, en revanche, depuis 1999, a accéléré le processus de transformation en cours depuis 1983. Le modèle républicain de l’unité nationale, d’ailleurs inspiré largement du modèle français, se fissure. Les différences ethniques, religieuses, linguistiques ignorées reviennent dans le jeu. La société turque se sent capable de remettre en question l’histoire officielle et tous les mythes fondateurs de la nation.
C’est la première fois depuis deux cents ans, depuis que la Turquie se modernise, que cette transformation se fait à partir de la base. C’est un mouvement sociétal : dans les journaux, à l’Académie, dans les réunions, dans les débats qui ont lieu partout, la Turquie bouillonne. Et l’État est dépassé. Il n’a plus les moyens de son ambition nationale.
Que signifie, pour vous, le pardon ?
Le pardon est d’abord celui demandé pour n’avoir pas réussi à parler plus tôt du génocide. Les Turcs ont été lobotomisés. Une histoire a été créée de toutes pièces autour du mythe fondateur. Il est difficile d’affronter cette amnésie généralisée, car les bases d’une remise en question manquent. Les gens n’ont pas les moyens intellectuels pour entreprendre ce travail de mémoire. Une authentique politique de mémoire ne devrait se laisser impressionner par aucun tabou, ni aucun mythe ou histoire officielle. Elle devrait faire place aux victimes pour exhumer les mauvaises mémoires.
Comme tous les processus de fabrication de la nation, celui de la Turquie a été difficile et violent : il fallait soudain inventer une nation homogène à partir d’une population cosmopolite, multiethnique et multi-confessionnelle. Tous ces peuples avaient vécu des centaines d’années ensemble, ils se sont mis à s’étriper avec l’avènement de l’État-nation, qui est à mon sens le plus grand mal que ces contrées aient connu. Cette idée nationale est remise en cause, non seulement par les intellectuels, mais aussi par la société, pour donner lieu à un nouveau contrat social, où l’État ne serait plus le patron omnipotent et omniscient. L’appel au pardon est, à mon avis, une étape importante de cette politique de mémoire en gestation.
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