Le Conteur, la Nuit et le Panier

Une recension de Océane Gustave, publié le

Le conteur, la nuit : ayant grandi aux Petites Antilles, ces mots résonnent en moi comme si les contes créoles étaient restés enfouis dans ma mémoire de petite fille, sans que je les aie vraiment entendus. Patrick Chamoiseau, lui, ne cesse de déchiffrer leur signification pour aujourd’hui. Dans ce dernier livre, encore plus que dans les précédents, il fait du conteur une figure de résistance. Le vieux « Maître-de-la-Parole » du XVIIe siècle, au cœur de la plantation, résistait à l’ordre colonial et esclavagiste. Quand on parle de résistance des esclaves, on pense immédiatement au marronnage : des esclaves trouvaient la force de fuir la propriété du maître esclavagiste et n’hésitaient pas à s’enfoncer dans la végétation hostile pour mieux organiser la libération de leurs pairs restés prisonniers. Le conteur, lui, est un prisonnier a priori comme les autres, mais il est celui qui ouvre le champ des possibles dans l’espace avilissant de la plantation. C’est que le conteur s’exprime toujours la nuit : cette nuit qui efface les ombres menaçantes de la colonie, gomme ce soleil impitoyable sous lequel on a dû courber l’échine des heures durant. Contre toute attente, le conteur fait jaillir un espace de rêverie au sein même de l’aliénation. Sa performance est alors totale, poétique : elle restructure l’espace et, surtout, elle est une réappropriation du corps et de la voix. Patrick Chamoiseau interprète sa pratique littéraire à la lumière de cette expression émancipatrice primordiale et, ce faisant, il la réintègre dans la longue histoire de l’humanité. Quant au « panier », dernier terme du titre de son ouvrage, il est l’énigme : pourquoi le conteur, s’il parle en plein jour, risque-t-il d’être transformé en panier ?

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