Le Lambeau
Une recension de Didier Eribon, publié le
« Il était 11 h 25, peut-être 11 h 28, le temps disparaît au moment où je voudrais le rappeler à la seconde près. » Au centre de ce livre s’ouvre un vide abyssal. Pour les médias, ce vide porte un nom, c’est l’attentat contre la rédaction de Charlie Hebdo. Le 7 janvier 2015, douze personnes sont tuées dans les locaux du journal. Onze sont blessées. Philippe Lançon, journaliste, écrivain et critique littéraire à Libération, fait partie des survivants. Il a reçu plusieurs impacts de balles. Sa mâchoire est détruite.
Entre l’homme d’avant 11 h 25 et celui d’après, il y a donc un abîme. Tout l’art de Lançon consiste à s’approcher au plus près des deux bords de ce grand trou, celui de la vie d’avant et celui de la vie d’après. Il revit la soirée insouciante de la veille, où il assistait à une représentation de La Nuit des rois de Shakespeare, texte qu’il n’a cessé de relire plus tard comme s’il contenait un sens prémonitoire. Surtout, il reconstitue ce qui lui a permis, lentement, opiniâtrement, de se relever d’entre les morts. Le Lambeau n’est pas le récit d’un événement tragique. C’est le texte d’un écrivain pour qui chaque instant de l’existence a toujours été à la fois un prodige et une énigme. Pour approcher au plus près l’événement du 7 janvier, Lançon convoque une multitude d’objets témoins – un petit sac noir offert par un écrivain colombien, un livre sur le jazz montré au dessinateur Cabu juste avant l’irruption des tueurs. Ensuite, dans un extraordinaire travail de chirurgie sur soi, il tente de réparer, non pas son corps livré aux médecins, mais sa vie intérieure et son psychisme. Et pourtant, à chaque passage, l’aiguille découd au lieu de coudre, elle réveille d’autres strates temporelles, d’autres visages. Philippe Lançon explore un temps en miettes, un corps défait, la « jacquerie des organes qui se traduit par un incompréhensible embouteillage de sensations », la pénombre de l’hôpital, ce « monde d’en bas » où l’on opère sans fin. Chaque détail compte, chaque visage, en particulier chaque visage de femme.
Le Lambeau est une anamnèse au sens médical : c’est l’histoire minutieuse d’un traumatisme. Mais c’est aussi une anamnèse au sens de Platon : le retour à un savoir perdu. De quelle nature est ce savoir ? Il ne s’agit pas d’une capacité instantanée d’analyse des grandes convulsions qui secouent notre monde. Ni même d’un cri de colère. Mais d’un savoir plus obscur et plus essentiel, attentif à une zone à peine lisible, dans l’entre-deux du corps et de l’âme, au plus près de soi.
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