Le Temps gagné

Une recension de Catherine Portevin, publié le

Ce pourrait être le roman people de la rentrée littéraire, ou l’enfance de Raphaël Enthoven dans les faubourgs littéraires de Saint-Germain-des-Prés. Cassons d’emblée la chronique mondaine. L’auteur a travaillé les pseudonymes, mais tout limier débutant saura décrypter ce faux roman à clefs. La mère du philosophe est la journaliste et écrivaine Catherine David et son père, Jean-Paul, est éditeur chez Grasset et grand ami de Bernard-Henri Lévy (appelé ici Élie), dont le jeune Raphaël a épousé la fille Justine (transposée en Faustine), avant de vivre avec Carla Bruni (baptisée Béatrice comme la muse de Dante), qui fut la compagne de son propre père. Ajoutez quelques figures secondaires (Michel Onfray, Arielle Dombasle entre autres…), et la ronde de ce bal de têtes donne le tournis (voir en particulier la scène, parfaite de cruauté maîtrisée, de son mariage avec « Faustine » devant le gratin réuni par les deux pères puissants). C’est ce tournis qu’il vaut d’endurer jusqu’à la nausée. Sinon, ces cinq cent et quelques pages ne seraient que l’exercice fastidieux d’un narcissisme en expansion et de règlements de compte élégamment tournés.

« Je n’étais pas, je crois, ce qu’on appelle “un enfant battu” » : l’entrée en matière en forme de dénégation est ironique et brutale. Ironique, puisque Raphaël Enthoven joue avec les poncifs attachés à son milieu qui « aime les films d’auteur, défend le pouvoir en place, hérite de ses diplômes, roule sur l’or, […] habite le Quartier latin ». Brutal car, de fait, il fut élevé par son beau-père (nommé ici Isidore, ou « le Gros », ou crûment « connard ») par gifles, coups de poings et humiliations répétées avec l’assentiment d’une mère sous emprise. Le père, en revanche, est le héros magnifique, enthousiaste, débordant, séduisant, vénérant les livres. C’est de lui que le futur philosophe tient son adage (provisoire) : « Gagne du temps », que l’on peut traduire au choix par « ose tout, sois prétentieux, fais tout trop vite, ne t’intéresse qu’aux conclusions… », manière de conjurer d’avance la mélancolie du temps perdu… en vain. Mais c’est surtout la violence qui frappe, dureté des lâchetés sourdes et de la méchanceté froide. Enthoven ne déteste personne (hormis ledit « connard » et les travers de l’intelligentsia de gauche, mais surtout pas sa mère), mais il ne sauve personne, même pas son père, à peine lui-même. Que Raphaël ne soit pas un ange, qu’Enthoven ne soit pas le gentil garçon brillant, courtois et sage que l’on apprécie généralement à bon droit, au fond, c’est une bonne nouvelle. Il faut à la littérature, et plus encore à la philosophie, de n’être jamais réconciliée.

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