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Raphaël Enthoven. © Franck Ferville pour PM/Agence VU

Entretien exclusif

Raphaël Enthoven : “Celui qui triomphe de sa propre haine est invincible”

Raphaël Enthoven publié le 05 octobre 2020 22 min

Le Temps gagné, le premier roman de Raphaël Enthoven, déchaîne les passions. Il faut dire que le philosophe n’y cache rien – de son enfance marquée par les gifles de son beau-père à ses difficultés à aimer – et n’y épargne personne – ni ses proches ni lui-même. Peut-on se libérer de la violence physique par la violence des mots et suffit-il de distinguer la sincérité de l’exhibitionnisme pour parvenir à sa vérité ? Réponses sans fard.

Propos recueillis par Martin Legros et Sven Ortoli
 

Votre livre, Le Temps gagné, est le récit de votre vie, de votre enfance jusqu’à vos premières amours. Vous y relatez d’abord le fait que vous avez été brutalisé par votre beau-père, avec la complicité de votre mère et l’indifférence de votre père. Vous livrez ensuite votre version de votre relation avec votre première femme, nommée Faustine dans le livre, qui vous avait accusé dans un roman où elle relatait votre histoire, de l’avoir trahie pour la maîtresse de votre père… Bref, c’est du « dur ». On se demande cependant quel est le statut de votre récit. Est-ce une confession, un roman, une vengeance ? Ou les trois ? 

Raphaël Enthoven : C’est un roman dont la matière n’est pas fictive – pour autant qu’elle puisse ne pas l’être, car quand on décrit un souvenir, les mots sont tellement imprécis que le résultat est souvent infidèle à l’intention. Disons que c’est un roman sans fiction, un puzzle de souvenirs. La matière est véridique, mais le choix des épisodes et leur agencement relèvent de la liberté du romancier. Cela dit, je serais bien en peine de vous dire pourquoi j’ai d’un coup et si rapidement écrit tout ça. J’étais le premier surpris que le récit de ces événements me parût soudain nécessaire. Vengeance et ressentiment ? Non. Même si je les ai croisés en chemin, ces affects ne m’ont pas déterminé à écrire. Ils ont accompagné certains moments que je revivais en les racontant, comme des sentiments qu’avec le recul, je m’autorisais enfin à éprouver. Peut-être le moteur (sinon la raison d’être) de ce livre est-il le bonheur d’avoir exhumé, pour les donner à sentir, des choses dont j’étais seul à me souvenir ? Ou la mise en œuvre d’une mémoire quantique dont les souvenirs sont comme des résurrections, et qui donne le sentiment de voyager dans le temps ? Je ne sais pas. Je sais juste que j’aimerais, quoi qu’il m’en coûte, avoir écrit quelque chose qui, de temps en temps, installe mon lecteur à ma place, et lui donne à sentir ce que j’ai senti. 

 

“Régler des comptes est une volupté de croque-mort. Rendre des coups est un plaisir de grand vivant”
Raphaël Enthoven

 

« Je n’étais pas un enfant battu », dites-vous, mais « un enfant trahi par les adultes », « élevé avec brutalité » par un beau-père dont les gifles s’abattaient sur vous, tandis que votre mère « riait d’embarras ». En vous lisant, on a l’impression que l’enfant qui est en vous a enfin trouvé le moyen de rendre les coups qu’il a reçus. Comme si, grâce aux mots, il pouvait enfin régler ses comptes. 

Malgré les apparences, l’expression n’est pas bonne. Si j’avais voulu « régler des comptes », je me serais victimisé et j’aurais inversé le cours de l’histoire à mon avantage. Je n’ai rien fait de tout ça. L’enjeu de ce livre n’était pas de me dorer la gueule mais de raconter les choses intensément, qu’elles soient ou non à mon bénéfice. En revanche, on peut dire que je rends les coups. Chaque phrase consacrée aux gifles d’Isidore est une façon, pour le narrateur, de lui rendre (enfin) la beigne que, sur le moment, il s’efforce d’accepter en se persuadant qu’il la mérite. Régler des comptes est une volupté de croque-mort. Rendre des coups est un plaisir de grand vivant. 

 

Vous parlez très bien du personnage de Rocky, le célèbre boxeur interprété par Sylvester Stallone dans lequel nombre d’adolescents de votre génération se sont projetés. Il vous a donné l’énergie de croire que l’on pouvait « vaincre un adversaire plus fort ». Et il vous a permis de « remplacer l’introuvable assurance d’exister par le plus accessible sentiment de l’effort ». Rocky indiquait un chemin. Et il a fait de vous un cogneur, décidé à en découdre plutôt qu’à ruminer son ressentiment. 

Rocky apprend à son élève que la seule défaite n’est pas de perdre (ce qui lui arrive parfois) ni d’être moins fort (ce qui est toujours le cas), mais de baisser les bras. Et que, si nul n’est responsable de ce qui lui arrive, chacun est responsable, néanmoins, de ce qu’il en fait. C’est la raison pour laquelle les boxeurs s’entraînent devant leur reflet. Non pour se regarder faire, comme on le pense bêtement. Mais parce qu’un reflet s’interpose entre soi-même et le but qu’on s’est donné. « Je vous laisse tous les deux », dit Rocky à Creed Jr face à son miroir, autrement dit : apprends à te débarrasser de toi-même, vide-toi la tête, apprends à ne pas faire obstacle au déploiement de ta propre force, ne t’interpose pas, ne t’empêche pas d’aimer ni de rendre les coups... En termes nietzschéens, « ne sépare pas ta force de ce qu’elle peut ». Chaque fois que la vengeance pure, c’est-à-dire le ressentiment, anime Rocky, il perd. Contre Clubber Lang, au début de Rocky III, ou bien au début (catastrophique) du combat contre Drago dans Rocky IV. Quand Rocky veut tuer, il est vaincu. Mais quand il triomphe, en lui-même, de sa propre haine, alors il est invincible. S’il arrive à l’emporter contre Drago, ce n’est pas qu’il est plus fort que lui, tant s’en faut, mais qu’il y met « tout son amour » (comme le dit son coach Duke). Contrairement à Rambo, Rocky est un amant de la vie, pas un esprit vengeur. Et s’il se bat tout le temps, dans la vie comme sur un ring, si ses péripéties ordinaires sont la transposition existentielle du combat final, la victoire est au bout d’un désir réconcilié avec lui-même. C’est à cette figure-là que mon « personnage » doit l’idée que l’exosquelette des muscles compense la nostalgie d’une identité. La construction de soi par les coups qu’on rend ou les obstacles qu’on finit par vaincre fournit à mon personnage une mesure et des limites qui se substituent à la colonne identitaire manquante.

 

Ce livre est donc un combat de boxe ?

Il n’est que cela. Et probablement rien de plus. Mon livre est une bagarre. Mais ce n’est pas tant une bagarre contre les autres, qu’une bagarre contre le refus de se battre, contre la tentation de baisser les bras ou de fuir l’offense en conservant un silence romantique. Les éventuelles victoires que le narrateur remporte sur ses adversaires ne sont que les vertus collatérales de cette première conquête. 

 

“Dans mon livre, c’est l’enfant qui décide. L’adulte ne fait que poser des phrases, c’est-à-dire des limites, sur un chaos confus”
Raphaël Enthoven

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