Les Nouvelles Figures de l’agir 

Une recension de Hannah Attar, publié le

Voici un ouvrage aussi alarmant que vivifiant. Le constat d’un sentiment d’impuissance qui nous accablerait irrigue de manière croissante les essais philosophiques, en particulier au sein d’une certaine littérature portée sur l’écologie. Comment, en effet, trouver l’énergie d’agir et de s’engager lorsque la catastrophe semble inévitable ? Quand l’ampleur du défi est si monumentale que toute initiative, individuelle ou collective, paraît relever de l’anecdotique ? Plus fondamentalement, comment donner sens à nos actions quand « le meilleur n’est plus à venir et [que] le futur a changé de signe » ? À partir de ce constat – nous vivons dans une époque « obscure, marquée du sceau de la destruction » –, le psychanalyste et philosophe Miguel Benasayag et le journaliste Bastien Cany se proposent de penser « les nouvelles figures de l’agir ».

Avec une acuité remarquable, ils remontent aux sources de ce désarroi contemporain qui con­fine à la résignation. Et l’enjeu, semble-t-il, est d’abord épistémologique : notre croyance dans un progrès linéaire dirigé vers la maîtrise et la connaissance du monde a été ébranlée par la mise en lumière de la « complexité du réel » et d’un « non-savoir constitutif ». Or il est impossible de penser sans rien savoir, ni d’agir dans ce cadre nouveau qu’est l’incertitude. D’autant moins que les alternatives qui nous sont proposées sont délétères : d’un côté, un cata­strophisme qui pousse l’homme à abdiquer ou, de l’autre, une foi aveugle dans des technologies qui le condamnent à déléguer sa puissance d’agir au « Léviathan algorithmique ». Ces perspectives mettent en péril une certaine idée de l’humanité.

Dès lors, penser les figures de l’agir est une nécessité brûlante quand les discours qui dénoncent « la vanité des actions humaines » finissent par éteindre notre élan vital : car c’est par ces actions, précisément, que nous affirmons notre existence et notre volonté propre. Nous n’avons donc d’autre choix que de penser et d’agir, en faisant le pari que « ça va tenir ». Comment ? En revenant sur Terre et dans nos corps. Nous y rencontrerons alors non pas des problèmes globaux mais des « situations concrètes » qui s’imposent à nous et nous appellent à l’action. Cet « agir situationnel » promu par Benasayag et Cany nous réintroduit dans « la chair du monde », grand thème de la phénoménologie, et nous invite à nous considérer dans un rapport de réciprocité avec le monde : en acceptant que celui-ci soit vivant et nous oblige, nous renouons finalement avec notre puissance d’agir.

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