Netherland

Une recension de Alexandre Lacroix, publié le

Rien de tel que de lire en parallèle Netherland de Joseph O’Neill et La Vérité sur Marie de Jean-Philippe Toussaint (voir Philosophie magazine n° 32), deux livres marquants de la rentrée, pour saisir la différence d’essence entre les romans français et anglo-saxons. Outre l’écart entre les thèmes choisis, le premier étant social et le second intimiste, ils s’opposent sur la question du style. Les deux livres ont fait l’objet d’une élaboration soignée ; O’Neill a mis sept ans pour achever son manuscrit, et Toussaint n’avait rien publié depuis quatre ans, hormis des opuscules. Or, quand un romancier français travaille l’écriture, le résultat est cartésien : la langue cisèle des idées claires et distinctes, chaque mot dans la phrase paraît irremplaçable. Modifiez un seul terme dans les premières pages de La Vérité sur Marie, et vous devrez modifier le paragraphe entier pour en garder l’équilibre, car tout est lié. Chez O’Neill, c’est le contraire : le texte de cette histoire mêlant évocation de New York, cricket et confrontation des identités est imprécis, chaque mot vient s’ajouter bizarrement à ceux qui le précèdent, comme si le romancier voulait approcher le réel par touches. Par opposition au cartésianisme de la prose française, son style relève du scepticisme : le narrateur n’a de cesse d’expliquer qu’il est en train de donner un avis sur un match ou sur sa rupture amoureuse, mais qu’on pourrait les raconter autrement.

À l’approximation du langage correspond une conception du réel comme chaos perceptif indécidable. Si la prose de Toussaint présuppose une réalité aux formes pures, architecturée, la narration bourrée de strates, d’ajouts et d’ellipses d’O’Neill indique au contraire que tout est incertain, y compris l’identité de celui qui parle, Hans. « Vous voulez savoir ce que ça fait d’être un Noir dans ce pays ? », demande Chuck, son mystérieux ami, peu de temps avant d’être assassiné : « Enfilez les vêtements blancs du joueur de cricket. Mettez donc du blanc pour vous sentir noir. »

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