Nostalgie. Histoire d’une émotion mortelle

Une recension de Cédric Enjalbert, publié le

La nostalgie n’a pas toujours été un sentiment bénin . On en mourait autrefois, littéralement ! Voici l’une des découvertes de l’historien britannique des sensibilités Thomas Dodman. Dans cet essai foisonnant, il rappelle que le terme, inventé en 1688 par le médecin mulhousien Johannes Hofer, aurait pu rester confidentiel, s’il n’avait pas bénéficié d’une publicité fortuite. Par ailleurs, quand il choisit de former ce mot à partir du grec nostos (le « retour au foyer ») et algos (la « douleur »), il hésite cependant avec d’autres néologismes – nosomanie, ou « folie du retour », et philopatridomanie, ou « folie causée par le désir de retrouver son pays natal ». La nostalgie désigne alors une catégorie clinique avec des symptômes allant jusqu’au trépas : la « tristesse naissant de l’ardent désir de retourner dans son pays d’origine » que les Français appelaient « mal du pays ». Elle est donc initialement moins un affect lié au temps qu’à l’espace. Mais pourquoi ce sentiment fatal apparaît-il à ce moment-là, peu après que Descartes a fait paraître Les Passions de l’âme et Hobbes son Léviathan? C’est qu’une même angoisse « saisit les sociétés européennes au XVIIe siècle, relève l’historien : comment contrôler les passions tumultueuses et juguler les imaginations débridées, à la fois chez les individus et dans les masses ». Le diagnostic se répand d’ailleurs dans les troupes, notamment dans les armées révolutionnaires, puis au cours des expéditions napoléoniennes. On parle même d’épidémie, dont Thomas Dodman corrèle l’expansion aux nouvelles formes de mobilités, à « la fabrique du sujet libéral et sa “mobilisation joyeuse” dans la société capitaliste ». Un tournant se produit vers 1820. La nostalgie sort progressivement du champ médical – alors que d’autres théories sont formulées, concernant par exemple « l’acclimatation » aux terres étrangères – pour devenir un thème romantique, littéraire et, finalement, une notion populaire dans sa dimension temporelle. Se raccrocher au monde d’hier permet de trouver du sens à un univers changeant, voire « inhospitalier ». Ainsi, « deux siècles après l’invention du terme, la nostalgie était devenue comme un miroir inversé de ce qu’elle fut ». Sans regret !

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