Patients zéro. Histoires inversées de la médecine 

Une recension de Catherine Portevin, publié le

L’histoire de la médecine moderne retient les noms de Pasteur, Broca, Alzheimer et pas ceux de Meister, Leborgne, Deter, à l’origine de leurs découvertes. Ils furent parfois cobayes et martyrs, parfois sauvés par la science. Sur ces corps vivants, accidentés, présentant des symptômes bizarres ou une santé suspecte, un médecin, un jour, par hasard, par intuition ou par acharnement thérapeutique, a posé un diagnostic et essayé un traitement. C’est ainsi qu’on a connu l’anesthésie générale à partir d’un gaz hilarant de foire, le rôle de l’hippocampe sur la mémoire, la transmission des virus et des gènes, la plasticité du cerveau… À partir du destin de ces inconnus, Luc Perino entend « inverser » l’histoire de la médecine. « Zéro », ces patients le sont par leur disparition de l’histoire. Ils le sont pour la science, qui désigne par ce numéro les « cas index » d’une pathologie qui n’est pas encore nommée, donc, n’existe pas – la médecine est en ce sens très nominaliste. En virologie, on appelle « patient zéro » la personne à l’origine d’une épidémie : le livre de Luc Perino, écrit et publié juste avant le Covid-19, s’achève sur le cas du docteur Liu Jianlun, reconnu comme le transmetteur du Sras dit de Hongkong en 2003. La quête du patient zéro du Covid-19 ne fait que commencer.

Perino redonne existence, en des récits très divers et fourmillants de détails, à Phineas Gage qui pouvait marcher avec le crâne perforé par une barre à mines, à la cuisinière Mary Mallon, qui tua malgré elle tous ses employeurs et leurs familles, avant que l’on découvre qu’elle était porteuse saine asymptomatique de la typhoïde, à Gaëtan Dugas, le patient zéro du sida, à David Reimer, victime d’une réassignation sexuelle forcée… En remettant l’humain au centre de la pratique médicale, Perino critique les emballements de la logique instrumentale (dont le marché pharmaceutique fait partie) et il inverse surtout la relation de la médecine à la maladie. Il a fait sien cet avertissement du médecin philosophe Georges Canguilhem (1904-1995) : « C’est parce qu’il y a des hommes qui se sentent malades qu’il y a une médecine, et non parce qu’il y a des médecins que les hommes apprennent d’eux leurs maladies. » Les « zéros » sont premiers.

Sur le même sujet


Article
2 min
Octave Larmagnac-Matheron

Les Britanniques sont confrontés à une résurgence de maladies de l’ère victorienne. Ce phénomène montre que l’immunité est une construction…

Maladies d’hier, maladies d’aujourd’hui


Article
1 min
Adrien Barton

Trouver la citation inversée de celle-ci :


Article
1 min

Mais non, vous me faites dire le contraire de ce que j'affirme! Remettez cette célèbre citation dans l’ordre.


Article
14 min
Cédric Enjalbert

Expert, autonome, rétif à l’autorité de la blouse blanche : le patient a fait sa révolution. Mais celui qui travaille à devenir le sujet de sa maladie est-il aussi libre qu’il le croit ? Enquête.


Article
3 min

Sous ses apparences de civilité, cette injonction s’apparente davantage à un ordre, à la limite entre la mise en quarantaine et l’insulte. Un peu comme si le temps suspendait son vol du fait d’une grève des aiguilleurs du ciel.