Vivant jusqu’à la mort. Suivi de Fragments
Une recension de Catherine Portevin, publié leIl y a exactement quinze ans, le 20 mai 2005, le philosophe Paul Ricœur s’éteignait à 92 ans. Quelques semaines avant sa mort, il avait écrit à une amie : « Du fond de la vie, une puissance surgit, qui dit que l’être est être contre la mort. Croyez-le avec moi. » On le croit, enfin on essaie, tandis que la vie et la mort sont devenues mondialement des questions pas seulement sanitaires et existentielles, mais politiques, sociales, économiques, écologiques. J’ai donc rouvert Vivant jusqu’à la mort, ce petit livre posthume (paru en 2007), dont l’écriture par éclairs et par fragments s’accorde sans doute à cette sorte de sidération dans laquelle nous plonge l’événement. Ricœur a commencé à réunir ces notes à l’hiver 1995-1996 après que la perte de sa femme, morte au terme d’une maladie neurodégénérative, l’a laissé philosophiquement bouleversé par l’expérience des soins palliatifs et intimement « aphasique ». Sur son dossier, il a noté un titre, « Jusqu’à la mort », et un plan en trois parties pour un ouvrage qu’il a laissé inachevé. On retrouve dans cette méditation sur le deuil les prémices de sa grande pensée de la mémoire sur le plan collectif, qu’il développera dans son maître ouvrage La Mémoire, l’Histoire, l’Oubli publié en 2000. J’avais gardé en mémoire quelques interrogations fulgurantes, comme : « quelle sorte d’êtres sont les morts ? » ou bien « quel mort serai-je pour mes survivants ? » Je me souvenais de sa distinction entre le moribond et l’agonisant, entre le regard du bien portant sur celui qu’il voit déjà mort et le vivant qui meurt avec l’inextinguible appétit de vivre, « vivant jusqu’à la mort ». Ricœur espérait être capable de mourir en « honorant la vie ». J’avais oublié qu’il se demandait : « Suis-je encore chrétien ? », en renonçant à penser la résurrection comme survie.
Mais un mot surtout m’est apparu cette fois, qui m’avait échappé alors : gaieté. C’était le sous-titre : « Du deuil et de la gaieté ». Il n’a pas eu le temps de le développer en concept, mais il est là, insistant, lumineux, léger. L’idée est assez proche de la joie chez Spinoza, qui est lucidité et force d’exister. Mais Ricœur lui préfère l’enfantine gaieté, qui, pour ceux qui l’ont connu, était spontanément la sienne. Il lui ôte un peu de la lucidité spinoziste et lui ajoute quelque chose comme une « grâce », qu’il appelle « l’insouciance ». Elle vient étrangement en tension avec le deuil. Belle insouciance, désirable insouciance. Par temps sombres, aimons donc la gaieté.
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