Voyager dans l’invisible. Techniques chamaniques de l’imagination

Une recension de Octave Larmagnac-Matheron, publié le

Entre les lignes de cette enquête sur le chamanisme sibérien se dessinent les contours d’une passionnante réflexion sur l’imagination – cette capacité qu’a l’homme de faire abstraction du monde environnant pour pénétrer dans un univers parallèle. L’ethnologue Charles Stépanoff distingue deux grandes modalités de ce « voyage dans l’invisible » : « l’imagination exploratrice » et « l’imagination contemplative ». La seconde nous est plus familière : regarder un film, écouter de la musique, lire un roman sont autant de formes de cette ouverture guidée et passive au monde onirique. Cependant, note Stépanoff, l’externalisation et le cloisonnement de la puissance imaginative dans des supports  matériels est une innovation récente : durant des millénaires, le pays des images était une terre vierge, en attente d’une « imagination exploratrice » capable d’en sonder les contrées innombrables et inconnues. Telle est la fonction du chamane, « argonaute de l’invisible » : s’aventurer dans l’ailleurs et y conduire les autres hommes. Le chamane est acteur, pas spectateur, un peu à la manière d’un joueur de jeux vidéo. À ceci près que la frontière entre virtuel et réel que reconnaît le gamer est inopérante ici : passer dans l’autre monde signifie bien souvent pour le chamane se mettre à l’écoute des êtres non humains – montagne, forêt, animaux, etc. – qui l’entourent. Changer de point de vue, en somme. L’imagination guidée, déléguée à une élite d’artistes, s’est fermée à ce dialogue virtuel avec les autres êtres. Dépossédés de notre imaginaire, aurions-nous aussi perdu le monde ?

Préface de Philippe Descola.
Sur le même sujet







Article
2 min
Martin Duru

Initiateur du genre autobiographique, avocat de la démocratie directe et ethnologue avant l’heure, Rousseau semble un de nos contemporains égaré dans le XVIIIe siècle. La preuve par trois.