Charles Stépanoff : “La chasse forme une exception intrigante, puisque la mort y demeure publique et partagée”
Et si, plutôt que de rejeter la chasse comme une pratique barbare, on s’y intéressait vraiment ? C’est le pari de l’anthropologue Charles Stépanoff, qui livre les résultats d’une enquête de terrain menée dans la Beauce et le Perche dans un nouvel ouvrage, L’Animal et la mort. Il montre combien, alors que nos sociétés rechignent à voir la violence qu’elles exercent sur le monde et les autres vivants, la chasse est une manière d’assumer cette violence.
Comment en êtes-vous venus à vous intéresser au sujet de la chasse ?
Charles Stépanoff : J’ai grandi en banlieue et quand j’étais gamin, les sorties en forêt de Sénart ou de Fontainebleau étaient des moments de détente et d’enchantement. Les rares silhouettes de chasseurs que j’ai pu croiser étaient des figures inquiétantes qui donnaient envie de déguerpir. Quand je suis parti en Sibérie pour étudier les traditions chamaniques, je me suis retrouvé dans un monde où la chasse et l’élevage, et donc la mort de l’animal, faisaient partie de la vie quotidienne. Comme pour beaucoup d’ethnologues, un apprentissage profond du terrain a été de participer à la mise à mort et à la découpe des animaux – rennes et ours – et de dévorer avec appétit leur chair. L’expérience du lointain fait surgir des questions sur le proche : pourquoi, dans nos sociétés, la mort est-elle soigneusement dissimulée ? pourquoi cache-t-on le fait que la viande est la chair des animaux ? À ce titre, la chasse forme une exception intrigante puisque la mort y demeure quelque chose de public et de partagé. C’est ce qui m’a amené à vouloir enquêter sur la chasse en France, pressentant que les contradictions de notre rapport au sauvage et à la violence s’y concentraient.
“Parler du monde de ‘monde de la chasse’, c’est un peu comme parler du ‘monde de la musique’ et faire comme si les rappeurs, les accordéonistes et les chanteurs d’opéra formaient un groupe solidaire”
Peut-on vraiment parler de « la » chasse au singulier ?
Parler du monde de « monde de la chasse », c’est un peu comme parler du « monde de la musique » et faire comme si les rappeurs, les accordéonistes et les chanteurs d’opéra formaient un groupe solidaire partageant les mêmes goûts et les mêmes intérêts. Entre l’agriculteur qui chasse sur ses terres, l’amateur de safari en Afrique ou le propriétaire d’une chasse commerciale en Sologne, les perceptions de la nature et les éthiques sont différentes. C’était évident dans les siècles passés : le chasseur noble ou bourgeois et le « braco » paysan étaient à couteaux tirés. Les apparences ont changé quand les pouvoirs publics au milieu du XXe siècle se sont efforcés d’encadrer les chasseurs en les intégrant à des institutions hiérarchisées communes, les fédérations de chasse. Mais les tensions demeurent très vives entre chasseurs villageois et propriétaires de chasses commerciales.
Votre enquête de terrain s’intéresse tout particulièrement à la chasse paysanne, qui a été peu à peu supplantée et discréditée par la « chasse-gestion rationalisée ». Pouvez-vous expliquer ce qui oppose ces deux pratiques ?
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