André Glucksmann. “Un combat permanent”

André Glucksmann publié le 4 min

Pour André Glucksmann qui a signé un récent “Voltaire contre-attaque”, le “Traité sur la tolérance” est un antidote très actuel aux pensées bétonnées, car il se fonde sur la nécessité de nous entendre non sur le bien, mais contre le mal.

« Écrasons l’infâme[1]!  » Voltaire croque-curé ? Archifaux. La France du XVIIIe siècle est royaume catholique de droit divin où les abus d’autorité abondent. L’écrivain les relève, dénonçant au passage les hypocrisies, voire les ignominies, des jansénistes, protestants, juifs… Ennemi de Dieu alors ? Pas davantage : un athée disposant des pleins pouvoirs est à ses yeux plus dangereux que Ravaillac. Si Voltaire avait connu le doux siècle des religions séculaires, fasciste, nazie et communiste, il eût redoublé l’invective. De même qu’il repérerait chez les califes de l’État islamique les fausses couches de sa caricature de Mahomet : « Adorez et frappez, vos mains seront armées / par l’ange de la mort et le Dieu des armées », raille-t-il en 1736 dans sa pièce Le Fanatisme ou Mahomet le Prophète.

Le Traité sur la tolérance (1763), étranger à toute pompe spéculative, est un tract. À rebours des pensées bétonnées et des dogmes savants, c’est un acte philosophique. Il naît d’une révulsion contre le crime perpétré par les autorités ecclésiastiques et politiques : l’exécution du protestant Jean Calas. Là où les dogmatiques s’enferrent dans la recherche du Bien et de l’Éternité, Voltaire affiche le principe de réalité, auquel les récentes tueries de Paris nous ramènent cruellement. Changement d’époque. Éternel retour. Le fanatisme nous confronte à l’horreur. Rien de ce qui est inhumain ne nous est étranger. La leçon est dure à avaler : le mal demeure premier et universel. Inutile de détourner les yeux. Dangereux de s’inventer des paradis. Voltaire propose une arme pour résister, coup par coup : la tolérance, nécessité de nous entendre non sur le bien, mais contre le mal.

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