Hors-série "S'initier à la philosophie"

Claudine Tiercelin : la philosophie, le ciment des choses

Claudine Tiercelin publié le 7 min

La chose, le mot, le concept : la philosophie doit tenir le milieu de ce « triangle d’or ». Rester fidèle à la réalité contre les divagations spéculatives, écouter le langage ordinaire sans céder au jargon, et faire preuve de rigueur pour éviter les illusions verbales, telle est la triple exigence de Claudine Tiercelin.

 

Plus encore qu’un texte, c’est un ou quelques professeurs, surtout en France où elle s’enseigne au lycée, qui font découvrir la philosophie à un jeune esprit. L’idée de « déclic » est un peu surfaite : il faut plutôt un lent parcours, fait d’approfondissements, mais aussi de ruptures avec des influences, voire des emprises, avant de comprendre que, décidément, on ne fera rien d’autre. Un goût pour l’abstraction, au départ ? Sans doute, ce qui rapproche le philosophe du mathématicien. Il y a du vrai dans l’injonction platonicienne : que nul n’entre ici s’il n’est géomètre. Mais sur la carte du terrain que ce dernier dessine, on ne s’attend pas à voir figurer tous les brins d’herbe. On l’admet moins du philosophe qui, en abstrayant, -apparaît comme un massacreur des possibles, quand il a juste revendiqué, lui aussi, la nécessité de distinguer, de séparer, de mettre ses opinions pour un temps à distance, tant s’impose à lui le préalable « nettoyage de la situation verbale » (Valéry) pour lever les confusions inhérentes au langage qu’il lui faut bien utiliser s’il veut pouvoir dire quelque chose.
 

Philosopher, c’est d’abord cela : mesurer l’ampleur de ses préjugés. Mais il faut vraiment le choc d’une expérience récalcitrante pour remettre ses croyances en cause. Car, n’en déplaise à Descartes, douter n’est pas aussi facile que mentir. La volonté n’y suffit pas. Se mettre à enquêter pour trier le bon grain de l’ivraie, c’est rechercher la clarté dans ses idées et les tester. Il faut que les mots du quotidien ne soient pas des sons vides, de purs flatus vocis, dénués de sens, et qu’ils renvoient bien à des concepts dont on puisse mesurer les effets pratiques et sensibles. Qu’ils se présentent donc comme les produits d’un jugement authentique dont on devra pouvoir dire s’il est vrai ou faux, selon qu’il se rapporte ou non au réel. Mots-concept-choses, telle est, depuis l’Antiquité, l’articulation de ce triangle d’or dont se sont toujours souciés les philosophes.

"Comment invoquer l’éthique sans indiquer si la perspective est déontologique, axiologique ou conséquentialiste ? Malentendus et discordes ne peuvent que fleurir..." 
 

Expresso : les parcours interactifs
Comment résister à la paraphrase ?
« Éviter la paraphrase » : combien de fois avez-vous lu ou entendu cette phrase en cours de philo ? Sauf que ça ne s’improvise pas : encore faut-il apprendre à la reconnaître, à comprendre pourquoi elle apparaît et comment y résister ! 
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