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 Philosophie magazine : les grands philosophes, la préparation au bac philo, la pensée contemporaine
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© Karen Gamarra

Costa Rica. À la recherche du bonheur pura vida

Jean Mouzet publié le 18 mars 2020 19 min

Quel est le secret de ce petit État d’Amérique centrale, classé parmi les plus heureux de la planète par de nombreux indices, alors que son PNB par habitant est loin derrière celui des pays occidentaux ? C’est avec cette question dans ses bagages que notre reporter est parti en immersion au pays de la pura vida, un concept hédoniste qui irrigue la vie des Costaricains et que n’auraient sans doute pas renié Spinoza, Nietzsche ou Aristippe de Cyrène s’ils avaient pris le temps de paresser dans un hamac au bord d’une plage ensoleillée.

Je ne savais pas ce que je faisais à minuit dans ce bar à ciel ouvert entre la jungle et la plage de palmiers, on ne va pas se mentir, le reggaeton n’est pas ce qu’on a fait de mieux depuis Mozart, mais j’ai commencé à vraiment me poser la question au premier coup de feu. Huit, neuf balles. Quelques cris pour la forme, des réactions stéréotypées, les gens sont accros aux séries, la preuve : personne n’en profite pour couper la musique, tchaca-tac, tchaca-tac, Despacito en requiem pour un narco, deux touristes au sol. Un cadavre dans sa chute a brisé ses lunettes de soleil. De toute façon, il faisait nuit. Un surfeur afro a retrouvé dans son biceps la première balle perdue. La seconde a choisi cette rasta blonde vautrée sur les mégots de joints qui font moquette sur la terre battue. La fille, décidée à rester philosophe, observe les fleurs psychédéliques de sa minijupe s’imbiber de sang. Pas non plus la routine, mais on se trouve bien aux Caraïbes, la zone la plus violente du monde ; de Miami à Caracas, c’est open bar pour les tueurs à gages et les narcos. Rien dans le journal du lendemain, douze heures de commérage sur les réseaux sociaux du village, terminé ; c’est tout ce que laisse un homme. En voilà un libéré de l’inquiétude de vivre. 

 

Clandestins des tropiques

Le Costa Rica en 6 dates

  • 1502 Christophe Colomb accoste près de Puerto Viejo
  • 1821 Indépendance involontaire de la Province tica au sein des Provinces unies d’Amérique centrale
  • 1899 République bananière de la United Fruit Company
  • 1948 Le président José « Don Pépé » Figueres abolit l’armée
  • 1983 Proclamation de la « neutralité perpétuelle » du pays dans les conflits armés
  • 2018 Victoire à l’élection présidentielle de Carlos Alvarado, candidat pro-mariage gay

Je viens d’arriver sans le sou à Puerto Viejo, village de pêcheurs afro-caribéens, d’Indiens des montagnes et de hippies occidentaux, où la bière est au prix parisien : j’ai intérêt à trouver du boulot. Et à régler le problème du logement, moins palpitant mais plus urgent que celui du sens de la vie. La grande rue du village est la seule route de la côte caraïbe à percer la jungle qui s’étend du Nicaragua au Panama. Mon bus pile pour esquiver un paresseux rampant sur le goudron, à la lenteur d’un bébé zombie tombé du ciel sans se tuer, comme Dieu. Tous les Ticos – le surnom des Costaricains – descendent s’extasier devant ce signe de leur religion spinoziste, Deus sive Natura, « Dieu n’est que la Nature » – un panthéisme pas très catholique. Enfin, j’arrive à l’auberge la plus malfamée du village, gérée par un quinqua bronzé qui roule des épaules dans sa chemise fantaisie, un ex des forces spéciales chiliennes. « Tu veux bosser ? J’ai jamais vu un Européen se fatiguer : ça paye. — Je deviens latino. — Très bien. Je ne peux pas te mettre à la réception à cause des contrôles, donc nettoyage et maintenance de huit à douze, six jours par semaine. Des questions ? — Oui. Je peux me lever plus tôt et bosser de six à dix ? — J’aimerais mieux pas. On va picoler et se défoncer tous les soirs à la coke et à l’acide sur la plage, un matin tu ne vas pas te réveiller, et ça va générer du conflit. Donc, ne te lève pas trop tôt, te tue pas au travail, fais tes quatre heures sans pause mais sans hâte et profite de la vie, pura vida. Bienvenue au paradis, bro ! » Contrat signé d’une poignée de main, logement gratuit et après-midi libres. Reste à trouver un job. 

“Peut-on vraiment mesurer la félicité, cette mystique personnelle, ce rêve insondable, horizon ou mirage ?”

 

Au village, les Ticos ont de petits boulots à 400 euros, juste assez pour vivre sous les tropiques. Les immigrés blancs contrôlent les restos, les ecolodges et le filon New Age, style ouverture des chakras et yoga tantrique. Des Afros à dreadlocks font dans le vol à la tire et les cours de surf le jour, le deal et le vol à main armée la nuit. Nous, on a formé une bande de nomades au long cours, l’Oisiveté vagabonde, en marge du Costa Rica des touristes et des journalistes. Denis le clown a débuté aux feux rouges et gagne en vingt heures de bouffonneries le salaire mensuel d’un petit salarié : « On a l’eau courante et l’électricité, même le wifi quand il veut, mais comme on vit sous la tente avec un salaire de misère, on se retrouve dans les stats d’extrême pauvreté de ces Gringos qui gagnent vingt fois plus et vivent cent fois moins ! » Les filles veulent m’apprendre un gagne-pain facile. Blinder son CV à tout prix, voilà l’urgence de l’époque ; je réfléchis à devenir jongleur de machettes. Il faudrait faire l’aller-retour au Panama pour renouveler mon visa de trois mois… la flemme. Cinq ans d’études de philo à la Sorbonne pour me retrouver balayeur aux Caraïbes : un beau symbole de déclassement nomade, génération Y. Je fais une pause toutes les demi-dalles, à la Caïus Joligibus, déplaçant la poussière en écoutant des conférences d’astrophysique sur le destin de l’Univers et le néant de tout. Bref, je suis heureux. C’était le but. Le Costa Rica est le 12e pays le plus heureux de la planète au classement du World Happiness Report de l’ONU – la France, 24e, chutant selon l’année jusqu’à la 31e place de ce palmarès dominé par les Scandinaves. À poser directement la question aux panels, les Ticos sortent même premiers. Alors ce n’est qu’un hit-parade de plus, un truc d’économistes, on sait ce que ça vaut : peut-on vraiment mesurer la félicité, cette mystique personnelle, ce rêve insondable, horizon ou mirage ?

 

Richesse de proximité

Bah oui, on peut, répond l’essai El Estudio Científico de la Felicidad (« L’étude scientifique du bonheur », Fondo de Cultura Económica, 2014, non traduit) du chercheur tico Mariano Rojas, auteur du chapitre sur l’Amérique latine dans le dernier rapport de l’ONU. « Un changement révolutionnaire a eu lieu dans l’étude du bonheur, écrit-il. Il a été prouvé qu’on pouvait évaluer ce but, cette motivation centrale du comportement des humains. Il suffisait de leur poser la question. Le concept du bonheur est si universel, que lorsqu’on demande aux gens à quel point ils sont heureux, on obtient un taux de réponse supérieur à 99 %. » En dépit du cliché raciste : « Ils sont misérables mais sourient tout le temps ! », le bien-être individuel est corrélé à la richesse par habitant, à l’espérance de vie en bonne santé, à la sensation de liberté, à la confiance entre citoyens, à la perception de la corruption et à la solidarité nationale. Mais la 63e place du Costa Rica à l’indice de développement humain fait dérailler le logiciel ethnocentrique de nos économistes : l’excessif bonheur de ces pauvres Latinos a quelque chose d’indécent. Un ami m’ayant invité à fêter le jour de l’an à flanc de volcan au Nicaragua, un autre au Guatemala, j’ai fini par remonter en stop jusqu’au Mexique, où Mariano Rojas enseigne à la Faculté latino-américaine des sciences sociales. Le soir de mon arrivée à la capitale, Hugo « El Pony » Alberto, tueur et dealer de mon hôte, se fait descendre devant ma porte. Je fais la vaisselle, sa mère hurlant à la mort sous ma fenêtre ; le lendemain, la saleté est nettoyée, le solide à la morgue, les liquides aux égouts, c’est tout ce que laisse un homme. Je saute dans un taxi pour retrouver le professeur Rojas sur un banc du parc Chapultepec. Le lieu est joli mais pas de quoi justifier que le Mexique dépasse la France au hit-parade du bonheur. L’Amérique latine, un continent de désastres économiques et d’inégalités historiques, de pauvreté métastable et de corruption mythologique, de terrorisme d’État et de violences de guerre par temps de paix, vingt-cinq homicides volontaires au Mexique pour chaque meurtre en France : un vrai mystère que le bonheur de ce peuple de 600 millions d’habitants éclaté en une vingtaine de pays, dont le Costa Rica serait le modèle si la démocratie était au service du bien-être des gens au lieu de la richesse des puissants. 

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