Biographie

Spinoza l’insoumis

Lia Duboucheron publié le 7 min

Baruch de Spinoza naît le 24 novembre 1632 à Amsterdam, dans une famille juive d’origine portugaise. Son père, Michael, est un marchand prospère qui commercialise du sucre et des fruits secs en provenance d’Espagne. Les Spinoza parlent portugais au quotidien et prient en hébreu. Baruch reçoit une éducation religieuse orthodoxe et fréquente l’école de la communauté. La famille habite au cœur du quartier juif, dans une agréable maison à mi-chemin entre l’école et la synagogue. La vie y est sans excès mais aisée. Si l’on ajoute que la période se situe au cœur de l’âge d’or, politique, intellectuel, économique et artistique des Pays-Bas, il y a de quoi justifier la signification du prénom de Spinoza : « béni ».

Béni, mais pas sans épreuves. Hanna, sa mère, souffre de difficultés respiratoires. À sa mort, Baruch n’a que 6 ans et peut-être hérite-t-il d’elle les problèmes pulmonaires qui l’affecteront sa vie durant. Veuf pour la deuxième fois, Michael élève seul ses enfants jusqu’à l’arrivée, en 1640, d’Esther, sa troisième femme. Elle s’occupe du jeune garçon qui est entré à l’école élémentaire depuis un an. Une légende veut qu’il ait excellé dans ses études et qu’il se soit préparé au rabbinat avec le sévère Rabbi Mortera. Si le premier point semble assuré, le second est litigieux : son nom ne figure pas dans les registres qui répertorient les étudiants ayant suivi des études supérieures à l’école Talmud Torah. Il est plus vraisemblable qu’au décès de son frère aîné Isaac, son père ait enjoint le jeune Baruch de renoncer aux études pour venir l’aider dans l’affaire familiale. Le brillant élève n’aurait alors pas dépassé le quatrième niveau d’étude, obligatoire, qui porte sur le savoir religieux et la culture nécessaire à tout garçon juif instruit. Toutefois, même en quittant l’école à 14 ans, l’adolescent était en possession de connaissances approfondies de la Bible et des grandes sources rabbiniques. Surtout, il maîtrisait suffisamment l’hébreu pour écrire plus tard sa propre grammaire de la langue hébraïque.

A 17 ans, Baruch est aux côtés de son père. 1649 est une bonne année pour le commerce international. Le traité de Münster, signé l’année précédente, a mis fin à quatre-vingts années de guerres intermittentes entre l’Espagne et les Pays-Bas et crée un climat favorable pour l’économie hollandaise. Mais les Spinoza n’en profiteront pas. En trois ans meurent sa sœur, sa belle-mère et son père. Baruch hérite d’un commerce grevé de dettes et les conflits maritimes naissants avec l’Angleterre n’arrangent pas les choses. Il appelle son frère Gabriel à la rescousse pour éviter la faillite.

Parallèlement à son difficile apprentissage, le jeune commerçant poursuit sa formation religieuse. Il fréquente les cours destinés aux adultes de la communauté, les yeshivot, pour étudier la Torah ; côtoie naturellement les autres marchands néerlandais, pour la plupart des protestants dissidents. Surtout, il s’inscrit aux cours de latin de Franciscus Van den Enden. Ce jésuite défroqué et libertin a ouvert une école pour les enfants d’une bourgeoisie qui préfère les lumières de l’Antiquité classique et des humanistes à celles de la scolastique. Ce savant professeur, fervent défenseur de la démocratie et de la liberté de culte, joue un rôle crucial dans la formation intellectuelle de Spinoza. Grâce à lui, il découvre la « science nouvelle » de Francis Bacon et de Galilée, la philosophie de l’Italien Giordano Bruno, la pensée humaniste d’Erasme et de Montaigne et les ouvrages politiques de Machiavel, Thomas Hobbes, Grotius, Calvin et Thomas More. Mais c’est Descartes qui a sa préférence. Or ses travaux, en physique et métaphysique, sont controversés dans les milieux cultivés, voire condamnés par les calvinistes conservateurs. Dès les années 1640, la société hollandaise est agitée par des disputes théologiques au sein desquelles le cartésianisme occupe une place de choix.

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